Der fliegende Holländer
Daland | Mischa Schelomianski |
Senta | Catherine Hunold |
Erik | Ewandro Stenzowski |
Mary | Marie-Ange Todorovitch |
Der Steuermann Dalands | Christophe Berry |
Der Holländer | Nicolas Cavallier |
Il n’y a pas que Paris dans la vie, il y a aussi Massy. Quelques semaines après la série parisienne du Fliegende Holländer, le seul opéra de la région parisienne au-delà du périph’ programme la même oeuvre de Wagner. Si la comparaison s’impose, la balance penche du côté de la petite structure tant les deux représentations massicoises placent la barre haut.
Tout d’abord grâce à l’Orchestre national d’Ile-de-France qui rappelle, s’il en était encore besoin, son excellence, cuivre et petite harmonie en tête. Certes, l’on sent bien que Case Scaglione cherche encore pendant l’ouverture à relier chaque pupitre épars dans un tout équilibré et dynamique. C’est chose faite dès les premières scènes, avec l’allant et le travail dans les détails nécessaires à ce théâtre musical épique. On est loin de la routine qui peut gagner certaines soirées de répertoire. De même pour les chœurs d’Angers-Nantes Opéra et de l’Opéra de Massy qui brillent par leur engagement, leur fraîcheur et leur collectif sans faille dans une œuvre qui les sollicite plus souvent qu’à leur tour.
La production de Charles Roubaud y participe aussi. Elle fait le choix d’un décor scénique unique qui limite les possibilités sténographiques du fait du monolithe dressé en son centre. Cette structure massive est le réceptacle de vidéos de bonnes factures qui transportent l’action de lieu en lieu : falaise, vaisseau fantôme, ou épave échouée sur la scène… quelques topos manquent toutefois (la maison, le lieu de la fête), ce qui peut parasiter la lecture. Les autres vidéos de fond de scène sont en revanche moins réussies. La mer calme ou agitée ressemble plus aux images de synthèse d’un jeu vidéo du tournant des années 2000. Cela n’obère en rien la qualité de la direction d’acteur traitée avec sobriété comme un huis clos où l’économie de mouvements et de postures, les regards suffisent à créer la tension.
Enfin, ces deux représentations brillent par la qualité de la distribution wagnérienne réunie, qui n’a rien à envier à d’autres salles. Quatre chanteurs français (sur six personnages) la composent. Marie-Ange Todorovich use du grain cuivré de sa voix pour imposer une Mary matrone. Christophe Berry (le Pilote) dispose de la puissance, de l’aisance et de la lumière nécéssaire pour rendre crédible son personnage d’étourdi romantique. Ewandro Stenzowski, n’a pas tout à fait les mêmes ressources mais son timbre clair, son phrasé élégant et son endurance lui permettent de rendre justice à l’héroïsme d’Erik. Les clés de fa apportent toutes satisfactions. Mischa Schelomianski fait apparaitre toutes les similitudes comiques entre Daland et le Rocco de Fidelio. Le grave est peut-être moins nourri que l’on aimerait mais la probité du chant emporte toutes les réserves. Dans le rôle titre, Nicolas Cavallier convainc grâce à son endurance, au mordant de ses attaques et aux couleurs dont il sait agrémenter son chant. Voilà un Hollandais qui suscite de l’empathie et non juste de la terreur. Enfin, ultime française de la distribution, Catherine Hunold s’impose une fois de plus comme une excellente wagnérienne de notre époque, capable de plier une voix torrentielle aux charmes et raffinements de la balade comme aux accents et aigus les plus assassins. Le portrait de la jeune rêveuse, éprise puis combative, est porté tant par les qualités vocales et interprétatives que par une présence scénique évidente, qui brille par une sobriété bienvenue. On n’a de cesse d’écrire que les Opéras français seraient bien inspirés de lui offrir, dès que faire se peut, ces rôles dramatiques du maître de Bayreuth où à chaque fois elle excelle.
Yannick Boussaert | 14 Novembre 2021
Vaisseau Fantôme enflammé à l’Opéra de Massy
Avec une distribution majoritairement française, un Orchestre National d’Île-de-France stimulé en fosse par Case Scaglione et un Chœur d’Angers Nantes Opéra à se damner, Le Vaisseau Fantôme de l’Opéra de Massy surpasse la récente reprise de l’ouvrage à l’Opéra de Paris.
Déjà d’une formidable chaleur dans l’œuvre il y a deux ans, le Chœur d’Angers Nantes Opéra affiche encore plus de puissance cette saison dans la reprise pour deux soirs à Massy de Der Fliegende Holländer (Le Vaisseau Fantôme) de Wagner, cette fois dans la production de Charles Roubaud. Toujours préparés par Xavier Ribes et juste légèrement décalés tandis qu’ils sont en coulisse et qu’on entend crier les départs à la fin de l’acte I, les parties d’hommes trouvent le reste du temps une impressionnante vigueur, à même d’impacter chacune de leurs interventions, et de rendre bien pâle en comparaison la prestation du Chœur de l’Opéra de Paris un mois plus tôt.
Créée à Orange en plein air en 2013 avec Mikko Franck puis reprise en théâtre à Marseille en 2015, la mise en scène de Charles Roubaud devait s’adapter à la scène des Chorégies et ne propose donc qu’un unique décor, fait d’une proue de bateau habillée par les vidéos, pour créer parfois un navire rouillé et parfois un rocher. Très simple, cette production apparaît cependant d’un aspect moderne et permet d’imager sereinement le livret, tout en apportant une belle scène de danse avant la tempête finale, là encore magnifiée par les chœurs. Auparavant, les tisseuses de l’acte II affichent la même qualité de préparation et laissent apparaître parmi elles la soprano dramatique française Catherine Hunold, qui retrouve enfin un rôle wagnérien après avoir dû annuler au dernier moment son Elisabeth/Vénus rouennaise l’an passé, pour cause de Covid-19.
Heureuse Senta aujourd’hui, Hunold livre une balade fine et jamais détimbrée ni émaillée d’aucun aigu acide. Elle est tout aussi vive dans sa mort, accompagnée par l’orchestre jusqu’au leitmotiv de la rédemption, ajouté à la seconde mouture de l’œuvre. À ses côtés, Marie-Ange Todorovitch offre une Mary d’une qualité de projection et d’une couleur de timbre rares, qui donne de l’intensité à tous les moments de ce rôle pourtant secondaire. Nicolas Cavallier campe un Hollandais moins noir que celui du récent Tomas Konieczny à Bastille, mais son timbre est aussi plus coloré et si l’on entend un accent bien français, il n’en reste pas moins que l’allemand est excellemment prononcé, notamment dans son premier grand air. Le Daland de Mischa Schelomianski présente en face un marin raffiné, bien accompagné par son timonier, porté avec clarté dans le premier air par Christophe Berry, tandis que l’Erik d’Ewandro Stenzowski tient son rôle avec justesse sans jamais véritablement l’exalter.
Pour accompagner le plateau, l’Orchestre national d’Île-de-France est dirigé par son directeur musical, Case Scaglione. D’abord très architecturé pour l’Ouverture, l’orchestre se montre de plus en plus souple à mesure que l’action se délie. Certaines baisses de tension et des gestes plus faits pour l’orchestre que pour la scène montrent que le chef comme les musiciens sont plus habitués au répertoire symphonique que lyrique, mais tous sont bien présents dans les grands moments, notamment les cors, très sollicités et pourtant jamais pris en défaut, quand les cordes affichent jusqu’aux derniers instants un superbe lyrisme.
Vincent Guillemin | 16 novembre 2021
Le Vaisseau fantôme accoste à Massy
Emmenés par Case Scaglione, l’Orchestre national d’Ile-de-France et une distribution valeureuse défendent le chef-d’œuvre de Wagner
« Si j’achète un billet pour Le Vaisseau fantôme, j’ai envie de voir la mer, des bateaux, des marins et des rouets, pas un bureau rempli de dactylos », a dit un jour une Dame Gwyneth Jones remontée contre les excès de la mise en scène contemporaine. La vénérable soprano eût-elle été satisfaite par la production de Charles Roubaud, en effet d’une loyauté absolue, étrennée en 2013 aux Chorégies d’Orange et présentée ces jours-ci à l’Opéra de Massy ? Le principal élément de décor est une proue de navire dilacérée par la rouille, prenant d’abord la teinte d’un rocher avant de se muer en vaisseau fantôme : bel effet. Mais ce sera à peu près le seul, car le spectacle pèche autant par son manque d’idées que par une direction d’acteurs convenue et statique. Certes, la narration est respectée à la lettre avec, pour les changements d’atmosphères, le soutien de vidéos qui montrent des paysages marins ou un simple mur percé de fenêtres. Malgré les limites, c’est donc bien Le Vaisseau fantôme que l’on voit.
Précision du verbe et du sentiment
Et que l’on entend aussi, grâce à une équipe des plus valeureuses. S’il manque à Nicolas Cavallier une once de muscle dans le grave pour atteindre les sommets, ce Hollandais nous touche par la précision du verbe et du sentiment, l’onde caressante des phrasés, l’endurance : c’est déjà beaucoup. Avec ses aigus vrillés, Catherine Hunold n’est certes pas la plus juvénile des Senta, mais du personnage elle a le souffle, la musicalité, les émois, à défaut des hallucinations. On peut rêver d’un Daland aux rondeurs plus généreuses, celui de Mischa Schelomianski se révèle pourtant assez juste dans le registre sournois du pater familias vénal. Malgré une émission un rien engorgée, l’Erik d’Ewandro Stenzowski fait couler le miel d’un lyrisme sensible et éperdu. Toujours vaillante, Marie-Ange Todorovitch campe une Marie au caractère bien trempé, et Christophe Berry un Pilote au tempérament aussi insolent que ses aigus.
Fluidité du discours
Malgré quelques sopranos un peu aigres, les chœurs (ceux de Massy et d’Angers-Nantes-Opéra) relèvent le défi avec les honneurs, tout comme l’Orchestre national d’Ile-de-France, aussi estimable ici que des phalanges plus illustres – tous étant placés sous la direction du chef attitré de la formation, Case Scaglione. L’Ouverture nous embarque par le savant dosage de la dynamique et des équilibres entre les pupitres, avec des cordes unies et des vents bien individualisés. Ce qui frappe, tout au long des trois actes, c’est la netteté du détail et la fluidité du discours, avec des textures jamais écrasantes dont la délicatesse ne bride nullement l’expansion des climax. Ce Wagner, au fond, affirme davantage sa filiation avec Weber ou Lortzing qu’il ne préfigure les chefs-d’œuvre à venir – ce qui ne saurait évidemment constituer un contresens. Case Scaglione dirige l’Elektra de Strauss en mai prochain à l’Opéra de Paris : un chef lyrique est en train de naître.
Emmanuel Dupuy | 13 novembre 2021