Der fliegende Holländer

Frank Beermann
Chœur de l’Opéra National du Capitole
Orchestre National du Capitole
Date/Location
25 May 2025
Théâtre du Capitole Toulouse
Recording Type
  live  studio
  live compilation  live and studio
Cast
DalandJean Teitgen
SentaIngela Brimberg
ErikAiram Hernández
MaryEugénie Joneau
Der Steuermann DalandsValentin Thill
Der HolländerAlekseï Isaev
Gallery
Reviews
forumopera.com

Beermann – Fau : série en cours

Outre qu’il est un excellent connaisseur des voix et des chanteurs, Christophe Ghristi, le directeur artistique du Capitole de Toulouse, cultive la fidélité. Quand il a trouvé la juste adéquation artistique, il sait s’en souvenir et en jouer. Frank Beermann et Michel Fau, qui cosignent ce Vaisseau fantôme, en savent quelque chose. Le chef allemand a fait ses preuves dans le répertoire germanique et a déjà proposé en bord de Garonne, outre une Elektra et une Rusalka dont on se souvient, un Tristan und Isolde, et une Femme sans ombre qui ont hissé l’orchestre national du Capitole parmi les phalanges qui comptent dans un répertoire où les orchestres allemands règnent habituellement sans grande concurrence. La récente tournée de neuf jours, en mars, de l’orchestre du Capitole en Allemagne a du reste soulevé l’enthousiasme du public de Düsseldorf, Dortmund, Cologne, Fribourg, mais aussi de ceux de l’Elbphilharmonie à Hambourg et de la Philharmonie de Berlin. Bon signe.

Confirmation ce jour de la parfaite symbiose trouvée entre chef et orchestre – ces deux-là se connaissent maintenant, cela se voit et surtout cela s’entend. Surtout que le parti pris par le chef allemand n’est à l’évidence pas le plus simple ; faire du Holländer, non pas un opéra de – relative – jeunesse de Wagner, encore attaché aux numéros et aux accents ici et là belcantistes, mais voir en cette pièce une préfiguration quasi immédiate des poids plus lourds du catalogue wagnérien, soit ceux datant d’une vingtaine d’années plus tard, à partir du milieu des années 1860. Les cuivres sont puissants, denses, les vents en général forment une masse compacte sans qu’elle perde en gracilité lorsqu’il le faut (superbes interventions des bois dans l’ouverture). Le tutti, une fois lancé, ne craint personne. Ni les chœurs, qui vont faire face avec grâce (au II le chœur de femmes des 24 fileuses) ou virilité (une intervention de deux chœurs d’hommes au III qui montre si besoin était tous les progrès réalisés dans le répertoire germanique en terme de diction, de scansion, par les troupes du chef des chœurs Christophe Bourgoin). Ni les chanteurs sur scène, qui doivent faire feu de tout bois pour passer la fosse. Cela donne au total une sorte de poème symphonique endiablé, enivrant, bouleversant à certains endroits (la scène finale), qui fait presque regretter l’interruption – l’entracte – entre les actes II et III. Les saluts enthousiastes qui ponctuent la prestation de Frank Beermann et de l’orchestre donnent déjà envie de revivre ces moments de communion lors de la saison prochaine où Salome les réunira.

Michel Fau est aussi un habitué heureux des lieux et c’est la deuxième fois (à notre connaissance) qu’il fait équipe avec Beermann. Il a déjà monté in loco Ariadne auf Naxos, Wozzeck et Elektra, . Il disait récemment son angoisse de se répéter, d’être pris à utiliser les mêmes ficelles, les mêmes recettes. Et si tout, effectivement, sépare les mises en scènes des quatre opéras qu’il a montés à Toulouse, on pourra trouver toutefois un fil conducteur : la fidélité à la pièce originale, la volonté de décrire sans trahir, de jouer sans surjouer, de montrer sans démontrer. Et là, tout y est : les bateaux (celui de Daland, puis celui du Hollandais, qui vient se mettre en travers), la mer déchainée (décors tout de réalisme d’Antoine Fontaine, bien mis en valeur par les éclairages de Joël Fabing), les fileuses et leurs douze rouets, jusqu’à cette image un peu kitsch des deux amants réunis dans la mort au baisser de rideau. Fidélité au texte donc, les décors et les costumes (de Christian Lacroix) qui nous replongent dans la Norvège du XVIIe siècle et cette belle idée d’un immense cadre recréant le tableau (une marine) que Senta n’a de cesse de contempler, songeuse, dans l’attente inassouvie de celui qui viendra. Cet immense tableau, qui s’animera et dont sortira le Hollandais (belle trouvaille), qui vient prendre toute la scène, laissant finalement peu de place aux chanteurs (cela nous a rappelé les décors gigantesques et pour tout dire envahissants d’Elektra où Fau avait imaginé une immense statue d’Agamemnon, gisant par terre et entravant les pas de ses enfants). Un tableau qui se fend au début du III, laissant pressentir l’issue tragique d’une liaison inaboutie.

Le plateau vocal est à la hauteur des ambitions de la fosse – et si Beermann lâche aussi facilement la bride c’est qu’il connait ses chanteurs qui ne s’en laissent (quasiment jamais) conter. Il ne faudrait oublier personne dans cette production : ni Eugénie Joneau en Mary revêche, ni Valentin Thill en pilote étourdi mais au ténor vaillant et lumineux. Jean Teitgen campe un Daland somme toute attendu, plus près de ses sous que de sa fille. Son premier acte, dense, est réussi, grâce à une présence qui lui permet d’équilibrer les scènes avec le Hollandais ou Senta. Airam Hernàndez étrenne le rôle d’Erik : prise de rôle réussie. C’est un Erik volontaire, presque héroïque que la voix ample et plastique de Hernàndez propose. Aleksei Isaev ne possède pas dans la voix toute la noirceur qui pourrait faire du Hollandais un avant-goût de Marke, mais il y a l’agilité, l’ambitus et, lorsqu’il le faut la puissance pour surmonter les flots de l’orchestre. De puissance, Ingela Brimberg n’en manque pas. Voilà un rôle, Senta, qu’elle emmène avec elle un peu partout depuis de longues années. Celle qui fut naguère la Brünnhilde du dernier Ring bruxellois, nous rappelle toute la difficulté du rôle de Senta. Qui doit être capable au III des plus extrêmes forte et au II de produire un cantabile quasi belcantiste. Tout cela, la Suédoise, le maîtrise parfaitement. Nous aurons particulièrement goûté les trois strophes de sa ballade (elle n’en a donc omis aucune) qu’elle propose en variant à chaque fois les perspectives, de la plus récréative à la plus intense. Brimbeg est décidément une grande wagnérienne.

Thierry Verger | 26 mai 2025

bachtrack.com

Bien ancré dans son romantisme

Après plus de trente ans d’absence de l’œuvre à Toulouse, et avec de nombreuses prises de rôle, la nouvelle production du Vaisseau fantôme de l’Opéra National du Capitole était très attendue. Après Elektra, Ariane à Naxos et Wozzeck, Michel Fau signe au Capitole sa quatrième mise en scène d’un opéra du grand répertoire austro-allemand, mais surtout son premier Wagner, un créateur qu’il aime et connaît profondément.

Comme dans la plupart de ses projets (et notamment ses redécouvertes du théâtre parisien du XXe siècle), il choisit une scénographie pleinement inscrite dans l’époque et le lieu de l’histoire (la fin du XVIIe siècle en Norvège) et de la création de l’œuvre (en 1843 à Dresde). Il se réfère également aux nombreuses indications scéniques présentes dans les didascalies du livret de Wagner. Foin donc de relecture contemporaine ou d’éléments dramaturgiques ajoutés. Mais plutôt un jeu d’acteur sobre et juste, et un respect assumé de l’esthétique originelle de l’œuvre.

Ainsi le rideau se lève sur la splendide image du navire de Daland sur fond de ciel tumultueux, avec des toiles peintes du décorateur Antoine Fontaine, en écho aux peintures romantiques d’Europe du Nord. Idem pour les costumes de Christian Lacroix, notamment ceux de Senta et de ses compagnes qui arborent de splendides robes traditionnelles scandinaves ornées de motifs colorés et brodés.

Par une trouvaille de machinerie théâtrale, ce décor marin devient au début l’acte II un grandiose tableau en relief : le portrait peint du Hollandais qui fascine tant Senta s’élargit à l’ensemble des autres ingrédients du drame, le vaisseau, l’océan, et avec eux la malédiction, l’errance, le fantasme du sacrifice et de la rédemption. Si bien qu’à la fin de cet acte le Hollandais sort littéralement du tableau pour rejoindre à l’avant-scène une Senta subjuguée. Et avec un éclairage diffusé depuis une rampe posée en nez de scène (comme cela se faisait jusqu’au XIXe siècle avec l’éclairage à la bougie), les visages et les ombres portées sont d’autant plus mystérieux et fantomatiques.

Le casting vocal se révèle de tout premier ordre, marqué par de nombreuses prises de rôles réussies. Dans le rôle d’Erik, le fiancé désespéré de Senta, la musicalité et le timbre d’Airam Hernández sont absolument formidables. Avec son ample timbre de bronze, la basse Jean Teitgen est impressionnante dans le rôle de Daland, celui d’un père cupide et tourmenté, représentant aujourd’hui caricatural du patriarcat de cette époque.

Mais la prise de rôle la plus éclatante est celle de la basse russe Aleksei Isaev dans le Hollandais : le diamant noir de sa voix, son timbre sombre et puissant sont magnifiques dans ce rôle de hoher bass. Ayant été contrainte de renoncer pour des raisons personnelles à ses débuts dans Senta, Marie-Adeline Henry a été remplacée voici deux semaines par la grande soprano dramatique suédoise Ingela Brimberg. Celle-ci fait ainsi ses débuts au Capitole, où sa connaissance du rôle et sa solide expérience lui ont permis de s’intégrer rapidement. Sa voix possède la richesse de timbre, l’ambitus et la projection nécessaire à ce rôle très tendu, même si ponctuellement son vibrato se montre un peu trop large. Dans les rôles secondaires, deux jeunes chanteurs français font preuve d’un talent prometteur : la mezzo Eugénie Joneau dans le rôle de Mary, et le ténor Valentin Thill dans celui du pilote.

L’Orchestre du Capitole fait merveille dans une partition où l’orchestre a un rôle capital, incarnant tantôt le flux incessant des flots, tantôt la psychologie et les tourments des personnages. Il est dirigé par le grand chef wagnérien Frank Beermann, de retour dans la fosse toulousaine deux ans après Tristan et Isolde. Son interprétation est d’un romantisme parfaitement équilibré, avec ce qu’il faut de tension et d’embrasement dans les moments dramatiques, et de poésie dans les moments intimistes.

Les cordes, les bois, les cuivres sont tous impeccables. Les solos du cor anglais, du hautbois et les redoutables parties de cors sont merveilleusement interprétées. Autre protagoniste important, le Chœur du Capitole fait preuve d’une belle homogénéité et musicalité, tant dans l’acte I (le chœur des marins norvégiens) que dans l’acte II (le très mendelssohnien chœur des fileuses). Et quand à l’acte III ils sont rejoints par d’autres choristes incarnant les effrayants marins hollandais, leur puissance sonore conjuguée devient réellement stupéfiante, offrant un des sommets de cette magnifique nouvelle production.

Emmanuel Gaillard | 18 Mai 2025

olyrix.com

Le Vaisseau fantôme toutes voiles dehors à Toulouse

Michel Fau a choisi de faire équipe avec le scénographe et décorateur Antoine Fontaine, maître de la toile peinte et de l’illusion. De fait, le rideau se lève au premier acte sur Erik qui, assis sur les rochers bordant la mer, un bouquet de fleurs en mains, songe à celle qu’il aime désespérément, la belle Senta. Puis brusquement, le navire de Daland apparaît avec sa horde de marins rompus par la tempête et son pilote chargé de faire le guet. Et enfin, surgissant des dessous de la scène, vient se dresser fièrement en totalité le puissant Vaisseau fantôme avec ses voiles rouges sang, son allure sinistre et déroutante.

La vision d’ensemble est à la fois surprenante et superbe. Au début du 2ème acte, un immense cadre doré descend des cintres pour constituer le fameux tableau qui fascine tant Senta, celui du portait du Hollandais maudit auprès de son navire. La ballade de Senta prend alors toute sa dimension prophétique telle une course folle vers la mort. Au 3ème acte, ce cadre apparaîtra inexorablement brisé. Les lumières diversifiées de Joël Fabing emplissent pleinement leur mission. Cette scénographie imposante occupe la majeure partie de la scène durant les trois actes, réduisant de fait à l’avant-scène les déplacements et échanges des personnages. La direction d’acteurs demeure ainsi relativement statique au profit de l’impression d’ensemble qui, en tout état de cause, reste forte et incisive.

Déjà fort remarqué sur cette même scène, le jeune baryton russe Aleksei Isaev franchit avec sa prise de rôle du Hollandais une étape essentielle de sa carrière. La puissance de son incarnation se conjugue avec un matériau vocal terriblement excitant. La voix surprend par sa largeur, ses intonations profondes et ses assises de caractère. Durant sa longue et complexe scène d’entrée, il captive le public et le tient en haleine avec une autorité qui dépasse largement le simple naturel.

À ses côtés, l’interprétation de la soprano suédoise Ingela Brimberg (habituée du rôle de Senta qu’elle a d’ailleurs enregistré), ne lui cède en rien. La voix s’élève majestueuse et solide sur toute sa longueur, à la limite de l’incandescence, vaillante et stable. Elle parvient à mettre de côté ses incarnations antérieures pour offrir un portait lumineux et presque contemplatif de cette jeune femme éperdue d’amour jusqu’au sacrifice.

Le ténor Airam Hernández campe un Erik fier et attachant. La voix au timbre cuivré s’avère parfaitement projetée, pleine de justesse expressive et attentive (il sera possible de le retrouver avec bonheur sur la scène du Capitole la saison prochaine dans les rôles de Walter dans l’opéra La Passagère de Mieczysław Weinberg en janvier 2026 pour la création française de l’ouvrage, et en Don José de Carmen face à Marie-Nicole Lemieux en juin). Jean Teitgen en Daland offre sa voix de basse puissante aux belles harmoniques, s’accommodant parfaitement aux difficultés du rôle. Eugénie Joneau s’illustre de son mezzo capiteux dans le trop bref rôle de Mary, tandis que Valentin Thill donne du caractère à celui du Pilote de sa voix de ténor nette et franche.

Michel Fau a confié à l’acrobate Benjamin Kahan le rôle ajouté de Satan qui, tout de rouge vêtu, semble surveiller les amours malheureuses du Hollandais.

Les Chœurs de l’Opéra national du Capitole, préparés par leur chef Gabriel Bourgoin, se montrent particulièrement impressionnants dans toute la première partie du 3ème acte, tant au niveau des chants et des danses que dans l’évocation spectrale du Vaisseau fantôme.

Frank Beermann revient lui aussi chaque année au Théâtre du Capitole de Toulouse avec toute son expérience et sa détermination (il dirigera ainsi la nouvelle production de Salomé programmée en mai 2026 dans une mise en scène de Matthias Goerne). Sa direction du Vaisseau fantôme ample et passionnée, un peu roidie à certains moments toutefois, mène une fois encore l’Orchestre rutilant du Capitole sur les chemins de l’excellence et du dépassement.

Le public toulousain aura profondément vibré à ce Vaisseau fantôme d’envergure. Il réserve à la production et à ses interprètes une salve de saluts mérités.

José Pons | 19/5/2025

Rating
(5/10)
User Rating
(3/5)
Media Type/Label
Technical Specifications
558 kbit/s VBR, 48.0 kHz, 575 MiB (flac)
Remarks
In-house recording
A production by Michel Fau (2025)