Splendides Maîtres chanteurs à Cologne
La situation ne pourrait être plus absurde. Quelques jours seulement après la grande débâcle – Uwe Eric Laufenberg, directeur de l’opéra depuis 2009 ayant réussi à lui redonner sa renommée internationale, démissionne de son poste car la Ville de Cologne n’augmente pas son budget tel qu’il le désire – l’Opéra de Cologne offre des Maîtres chanteurs comme Bayreuth ne sait pas en offrir. Un grand chef, une distribution de haut vol et une mise en scène qui n’est certes pas sans défaut, mais au moins professionnelle et lisible ce que l’on ne peut dire de tout ce qui est présenté sur la colline verte…
Mais commençons par la musique qui prime en cette belle journée de printemps, la production ayant été montrée plusieurs fois depuis sa première en septembre 2009. Wagner, c’est d’abord une question de chef, et là, l’Opéra de Cologne peut compter sur une valeur sûre en la personne de son directeur musical Markus Stenz. Comme toujours, ses tempi sont allants, sa lecture est analytique, mais pas trop, variée, engagée, par moments seulement un rien trop forte. Le troisième acte, long de deux heures, n’a, cette fois, rien d’un long tunnel. Il s’avère, au contraire, un énorme climax culminant dans un finale vraiment grandiose.
Côté chanteurs, la palme revient au Hans Sachs de Michael Volle. Quelques semaines seulement se sont passées depuis ses débuts dans le rôle, à l’Opéra de Zürich. Et pourtant, le portrait est déjà complet. Jeune, passionnée, combatif aussi, ce Sachs est un vrai tribun du peuple. Un homme charismatique, mais aussi chaleureux et profondément humain. Vocalement, il domine son rôle avec une facilité déconcertante sans montrer la moindre trace de fatigue dans le long finale. Son parlando est d’un naturel parfait, il ose des piani rarement entendus chez Wagner, sans pour autant manquer au rendez-vous lorsque la partition réclame les moyens d’un vrai heldenbariton. A ses côtés, Johan Botha campe un Walther non moins impressionnant. Si le ténor est bien loin d’avoir un physique de jeune premier, sa performance vocale frôle la perfection. La voix est belle, le chant radieux et nuancé à la fois, et l’aigu n’apparaît jamais en péril. « Morgentlich leuchtend » est détaillé avec poésie, sur un legato digne d’un opéra de Bellini. En Beckmesser, Adrian Eröd évite toute caricature. Ce « marqueur » est vaniteux, mais pas ridicule. Il est méprisant à l’égard de Sachs parce qu’il craint sa créativité – un être désagréable donc, mais aussi un homme à plaindre. Malheureusement, la voix sonne par moments un rien fragile, une méforme passagère, certes, et habilement maquillée par une technique de première classe.
Aux côtés de de trio de rêve, l’Opéra de Cologne a su réunir une distribution très homogène. Barbara Haveman est une Eva lumineuse et nuancée, un brin trop lourde peut-être pour ce rôle de jeune fille. Dalia Schaechter, en revanche, campe une Magdalene plutôt juvénile et bien chantante. Son David est interprété par Martin Koch qui convainc autant par sa présence scénique que par son chant frais et sûr. Seul Bjarni Thor Kristinsson, malgré ses aigus impressionnants, se situe plusieurs crans en-dessous avec ses voyelles constamment déformés et sa voix bizarrement projetée…
Quant à la mise en scène, signée par le directeur même, elle nous donne droit à une leçon d’histoire allemande. Du XVIe siècle, nous passons à l’an 1848 puis aux années 1950 avant de terminer la soirée à notre époque. C’est plutôt gratuit (et même pas nouveau), mais agréable à regarder d’autant plus que la caractérisation des personnages est pertinente et la direction des acteurs souvent même brillante. Seul le dernier tableau déroute. Situé devant l’Opéra de Cologne (sic !), nous semblons assister à une retransmission sur écran géant des mêmes Maîtres chanteurs avant que celle-ci ne se transforme en concours de chant public. Stolzing notamment y perd toute sa sympathie, se convertissant en un chanteur de variété arrogant s’occupant plus de ses fans que de sa bien-aimé, visiblement désenchantée. La soirée se termine ainsi par un point d’interrogation, pourtant absent de la musique de Wagner. Le public, en revanche, ne se pose pas de questions réservant une interminable ovation à chanteurs, chef et metteur en scène.
Andreas Laska | 4 mai 2012