Siegfried
Gérard Korsten | ||||||
Orchestre de l’Opéra de Lyon | ||||||
Date/Location
Recording Type
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Siegfried | Stig Fogh Andersen |
Mime | Robert Künzli |
Wotan | Matthew Best |
Alberich | Pavlo Hunka | Fafner | Kurt Gysen |
Erda | Mette Ejsing |
Brünnhilde | Susan Bullock |
Waldvogel | Louise Fribo |
Wagner humanisé
Si Richard Wagner avait vu le troisième acte de Siegfried tel que mis en scène par François Girard, décoré par Michael Levine et éclairé par David Finn, il aurait sans doute renoncé à publier les deux premiers actes. Soustraire le troisième volet de la légende des Nibelungen pour présenter Siegfried comme un opéra en soi est un tour de force que le metteur en scène canadien réussit parfaitement. Racontant l’intrigue avec une clarté toute cinématographique, il n’en oublie pas pour autant les aspects symboliques. Avec la complicité d’un très bon orchestre de l’Opéra de Lyon (quels beaux cuivres et comme ces violoncelles et ces contrebasses sonnent bien !), le chef d’orchestre Gérard Korsten régale son auditoire d’envolées lyriques comme seule la musique du maître de Weimar sait offrir. Un formidable travail de lumières (David Finn) éclaire discrètement le gigantesque décor suspendu d’un arbre coupé de son tronc. Assis sous le feuillage chargé de symboles, images de la mère disparue, de l’Eglise de Rome toute-puissante, de ruines de colonnades, Siegfried trône, préfigurant ainsi son lien avec «l’autre monde».
Au second acte, renversement du décor. Vu en plan, Siegfried accède au domaine d’Alberich et de Fafner pour y conquérir l’Anneau des Nibelungen qu’il gagne après avoir terrassé le dragon fait d’une impressionnante pyramide humaine s’élevant du plateau jusqu’aux cintres en un ballet à la fois magnifique et terrifiant.
Mais, si ces deux premiers actes exacerbent la chasse au pouvoir matériel, le dernier acte sublime la magie de la musique et d’un lyrisme wagnérien humanisé. Déserte, plongée dans le noir, la scène n’est habitée que d’un amas de tissu blanc comme agencé par le hasard. Sortant de ce magma immaculé, émergeant d’un rêve, Siegfried découvre l’oiseau qui, descendu des cintres, le guide vers le rocher où Brünnhilde est retenue prisonnière. En un ballet lascif, le cercle qui enfermait le héros bientôt se met en mouvement. S’élargissant. Il révèle une vingtaine de figurants qui, sous des lumières rougeoyantes, les bras ondoyant au-dessus de leurs têtes, deviennent les flammes qui retiennent Brünnhilde. Siegfried brise alors le feu ensevelissant Brünnhilde. Lentement, il lève le voile noir qui la recouvre. Retourné, la blancheur de son linceul explose. Symphonie en noir et blanc d’une beauté mystique bouleversante.
Si la production lyonnaise est un régal des yeux, la musique n’est pas laissée pour compte. Dosant son orchestre avec élégance, le chef allemand met admirablement en valeur ses solistes. Même si les premiers accents du ténor Stig Andersen (Siegfried) restent un peu sur la réserve, il s’impose bientôt en admirable chanteur wagnérien. Avec un rien d’acidité dans la voix, sa projection vocale est exemplaire. Sur un ton ne perdant jamais de sa virilité, il campe un Siegfried ingénu à souhait, comme un touchant idiot du village jusqu’à ce que son indifférence à la peur le quitte au moment de découvrir Brünnhilde. Il prend alors les couleurs d’un amoureux transi. Un chant magnifique, une diction admirable. À ses côtés, les autres chanteurs ne déméritent pas. À l’image de la diaphane figure de la basse Matthew Best (Der Wanderer). Sa noblesse vocale le moule parfaitement dans le dieu Wotan prodiguant ses conseils. Efflanqué comme un apôtre mythique, son personnage est encore exacerbé par l’ampleur profonde de sa voix. Si Kurt Gysen est un Fafner honnête, l’Alberich de Pavlo Hunka est parfait tant dans l’articulation vocale, la diction que dans la musicalité. On est plus réservé sur la prestation du ténor Robert Künzli (Mime) qui passe à côté de son personnage. Sa vocalité ne peut être mise en cause mais, cependant son manque de couleurs et d’intentions théâtrales ternissent le personnage le plus misérablement cupide et mesquin de l’intrigue. Dommage de manquer une si belle occasion !
Côté féminin, la mezzo-soprano Mette Ejsing (Erda) impose sa présence vocale sans forcer son instrument. Son trop court concours reste cependant l’un des moments les plus remarquablement sensibles de cette production. En revanche, la Brünnhilde de Susan Bullock est décevante. La voix souvent stridente et métallique, la soprano anglaise manque de legato et parfois de justesse. Dommage car la très haute tenue de cette distribution méritait mieux que cette soprano fatiguée et fatigante !
Pour un critique aux origines latines qui, comme votre serviteur, manque de culture traditionnelle et légendaire germanique, quels que soient les superbes développements musicaux dont le compositeur habille ses phrases, trois heures quarante-cinq de déclamation s’avèrent finalement un peu longuettes pour l’argument dramatique développé dans cette phase de la légende des Nibelungen. Si l’empereur Joseph II disait à Mozart que sa musique comportait « trop de notes », Siegfried comporte probablement «trop de mots». Le livret du troisième acte reprend presque mots pour mots ce qui s’est déjà raconté dans les deux premiers actes. C’est le truc de Wagner. Mais les œuvres du compositeur ont suffisamment été analysées sous tous les angles pour ne pas venir se frotter à la critique sans risquer les foudres des wagnériens purs et durs.
Reste que la production lyonnaise s’inscrit comme un grand moment de théâtre lyrique dans la ligne éditoriale de qualité de cette maison d’opéra et du règne de son directeur Serge Dorny.
Jacques Schmitt | 1 novembre 2007