Après Parsifal, avant La Walkyrie, Tristan : aux Champs-Elysées, le cycle Wagner continue. Après le National, avant l’Opéra de Munich, Birmingham. Pas le meilleur orchestre du monde – le National non plus, d’ailleurs. Si le Prélude de Tristan a une autre tenue que celui de Parsifal, la phalange anglaise n’en accuse pas moins ses limites, même galvanisée par la direction d’Andris Nelsons. Le début donne le ton : ce sera un Tristan intense, implacablement tendu, aux couleurs sombres, sans la moindre concession à l’hédonisme. Et cela jusqu’à la fin : on ne cherchera pas, au deuxième acte, le mystère, la magie impressionnistes du nocturne amoureux – Salonen, à Bastille, y fut inimitable. Mais on entendra tout, on ne perdra pas un fil de l’écheveau sonore. Un des Tristan les plus incandescents entendus ces derniers temps, si incandescent que le chef, emporté par sa passion, couvre parfois les chanteurs.
Les voix se situent partiellement à la hauteur des enjeux. Sans avoir l’art de la caractérisation d’une Waltraud Meier, Lioba Braun restitue les différents visages d’une Isolde très incarnée avec une assurance qu’on ne rencontre pas tous les jours. Voix charnue, plus proche de Varnay que de Nilsson, d’une belle homogénéité – même si l’ancien mezzo manque rater les aigus du duo d’amour. La technique est assez sûre, en tout cas, pour qu’elle arrive au Liebestod, où beaucoup masquent mal leur épuisement, en parfait état, tenant bon son fa dièse final.
On n’en dira pas autant de Stephen Gould, qui remplaçait Torsten Kerl. Au lieu de consentir à la nature lyrique de sa voix, il cherche à s’inventer Heldentenor : le timbre, du coup, se durcit, l’émission se raidit, la ligne se perd. Après un premier acte passable, il hurle souvent le deuxième et le troisième. Ce troisième acte, pourtant, réussit en général à tout le monde ; ici, l’orchestre assume à lui seul le délire du héros. Un Windgassen, un Kollo, un Heppner, mémorables Tristan, n’avaient pourtant rien de ténors héroïques.
Christianne Stotijn, elle, éprouve le plus grand mal à projeter sa voix à partir du médium, peu ménagée il est vrai par l’orchestre – on a l’impression d’entendre une moitié de Brangäne. Brett Polegato, en revanche, s’impose sans mal en écuyer à la fois crâne et attendri, très maître de son phrasé – ce n’est pas si courant chez Kurwenal. Très beau Marke de Matthew Best également, noble et profond. Et l’on n’oubliera pas le Marin et le Berger de Ben Johnson.
Un Tristan sans Tristan.
Didier van Moere