Der fliegende Holländer

Kazushi Ono
Chœurs et Orchestre de l’Opéra de Lyon
Date/Location
26 October 2014
Opéra Lyon
Recording Type
  live   studio
  live compilation   live and studio
Cast
Daland Falk Struckmann
Senta Magdalena Anna Hofmann
Erik Tomislav Mužek
Mary Ève-Maud Hubeaux
Der Steuermann Dalands Luc Robert
Der Holländer Simon Neal
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Reviews
forumopera.com

Enfin une représentation du Vaisseau fantôme où la beauté puissante des images de la nature et du surnaturel est en parfaite cohérence avec une musique somptueuse et envoûtante, avec un chant superbe et émouvant. Enfin un Vaisseau fantôme qui réussit à être le récit captivant, sonore et visuel, d’une aventure extraordinaire, tout en donnant à réfléchir sur des malédictions contemporaines et bien réelles.

D’emblée, on est sous le double choc de l’interprétation musicale due à un Orchestre de l’Opéra de Lyon au meilleur de sa forme, sous la baguette de Kazushi Ono, et des décors d’Alfons Flores, avec la présence à jardin d’un cargo gigantesque – ou plutôt de sa carcasse rouillée, que viennent battre les flots déchaînés courant sur toute la scène (magnifiques projections dues à la vidéo de Franc Aleu). Le dispositif scénique n’abuse pas de ces effets, laissant la place voulue à l’imaginaire de l’auditeur pendant l’exécution de l’ouverture (ici donnée dans la version de 1841, sans le thème de la rédemption) dont la force dramatique se suffit à elle-même.

Le metteur en scène Alex Ollé (du collectif catalan La Fura dels Baus) a eu l’idée de faire de ce cargo à la fois le vaisseau de Daland, dont descend une échelle vertigineuse, permettant aux marins de quitter la partie supérieure, et le vaisseau fantôme, dont les spectres s’échappent de la partie inférieure, le personnage du Hollandais et son équipage sortant de la cale. Lieu unique du présent et du passé, de la vie et de la mort, le navire est peu à peu dépecé : l’océan laisse la place au port et à la plage de Chittagong, cette ville du Bangladesh déjà connue des premiers navigateurs arabes, qui fut l’Islamabad du Bengale, le Porto Grande des voyageurs portugais, et qui aujourd’hui, depuis un cyclone qui jeta sur ses rives un tanker, est un chantier de démolition navale, où le travail s’effectue au mépris de toutes les règles sanitaires et de sécurité.

Dans une note jointe au programme, Alex Ollé s’explique sur les raisons qui ont guidé sa volonté de conserver une narration qui rende justice à la volonté initiale de Wagner dans son propre contexte idéel et conceptuel, et en même temps son désir de représenter des lieux aujourd’hui plausibles pour situer l’action, « un endroit où la vie a si peu de valeur que la mort, en comparaison, n’est pas nécessairement un mauvais choix », « un des endroits les plus pollués du monde ».

Les hommes aux pieds nus, mal vêtus, ployant sous le poids des panneaux de fer et des tuyaux, travaillent sur un sol sablonneux qui se dérobe, tandis que la présence d’un homme armé rappelle les actes de piratage qui ont marqué une actualité récente. Le praticable gonflable bosselé qui occupe l’essentiel de la scène, dont les projections permettent de faire des rochers, des vagues ou des amoncellements de cadavres, est plus que la métaphore d’un rivage dangereux, d’un monde instable : les chanteurs y glissent, tombent parfois, de manière prévue ou non, comme placés dans un danger permanent.

L’apparition de Simon Neal en Hollandais, depuis les profondeurs du cargo, est en parfaite adéquation avec l’interprétation d’ensemble qui a manifestement soudé l’équipe – chef, metteur en scène, chanteurs et musiciens – autour d’une idée forte. Capable d’émettre comme dans un souffle les notes les plus graves avec une intense poésie, Simon Neal déploie un volume sonore impressionnant et une projection éblouissante dans le registre aigu, affirmant par ailleurs une présence physique imposante et majestueuse. De manière habilement contrastée, le Daland de Falk Struckmann, bonhomme et matois, empressé, s’emploie à persuader tour à tour le Hollandais et Senta avec beaucoup d’aisance et de conviction vocales, véritable basse chantante comme le requiert le rôle. Magdalena Anna Hofmann est une Senta de tout premier ordre, jouant sur le double registre de l’apparente fragilité et de la puissance vocale révélant la force qui l’habite et lui permet, à la fin, de dominer les éléments. Dans la Ballade, la chanteuse déploie tout un art de nuances, du mumure au cri, de l’évocation nostalgique à la prière fervente. On est sous l’emprise de la tension palpable du personnage, de sa voix qui frôle les limites, dans une interprétation radicale (voir l’interview que nous a accordée la cantatrice). Le personnage d’Éric bénéficie de la voix claire et sonore du jeune ténor Tomislav Muzek, déjà remarqué dans ce rôle au festival de Bayreuth : son chant poignant contraste avec sa brutalité maladroite de chasseur mal aimé qui précipite par deux fois Senta à terre. Les rôles de Mary et du Pilote de Daland sont eux aussi soignés, la mezzo-soprano Ève-Maud Hubeaux prêtant à la première son timbre corsé et l’intensité d’une voix très charnelle, tandis que le ténor Luc Robert émet un chant d’une grande tendresse et d’une parfaite homogénéité. C’est un bel équilibre de l’ensemble des solistes, que vient soutenir et confirmer l’excellence des Chœurs de l’Opéra de Lyon – vitalité et vigueur des hommes d’équipage, dont l’engagement scénique accompagne constamment la précision vocale, élégance et charme du chœur féminin, particulièrement à l’aise dans ses déplacements rapides sur le sol irrégulier du praticable tout comme dans les chorégraphies manuelles s’inspirant de la tradition bengalie.

À la forte présence physique des marins et des femmes s’oppose la projection vidéo des spectres, avec leurs formes fantomatiques épousant celles des vagues qui sont flot de vie et flot de mort. Des images subsistent, fortes, tel ce moment où le Hollandais, Senta et Eric se trouvent sur trois îlots au milieu des eaux agitées, chacun chantant sans être entendu des autres, image poignante de la solitude et de l’incommunicabilité en dépit de la richesse des moyens d’expression. Les lumières très maîtrisées d’Urs Schönebaum donnent aux marins de l’équipage fantôme une soudaine présence, fantastique et hyperréaliste à la fois, lorsqu’apparaissent leurs corps irradiés, image de la contamination des travailleurs du cimetière de bateaux, dépourvus de protection face à l’amiante et autres émanations toxiques.

À la fin de l’opéra, l’orchestre joue le thème de la rédemption : une notice du chef Kazushi Ono, qui a choisi la version de 1841 et donne donc l’ouverture sans ce thème, explique ses choix musicaux. Senta reste seule en scène, après la disparition de la carcasse du cargo, de son équipage fantôme et du Hollandais, englouti par les flots, tandis que le rideau de scène redescend doucement sous la forme d’une surface maritime apaisée. Comme si elle rétablissait l’ordre de la nature, purifiait l’océan de ses carcasses de navire et réconciliait l’être humain avec les éléments. Dans le contexte engagé des choix de mise en scène, c’est une nouvelle acception du motif de la rédemption, et une relecture féconde en ce qu’elle ne dégrade pas l’œuvre mais en élargit au contraire les possibilités de signification pour le spectateur d’aujourd’hui.

Fabrice Malkani | 11 Octobre 2014

concertclassic.com

Senta la Folle

Fidèle jusqu’au bout à elle-même ? Senta croyant encore à l’image vivante du portrait qu’elle contemple depuis son enfance s’engloutit dans les flots écumants, mais l’océan la rejette, veuve éplorée de ses propres illusions qui vient exposer au public son éternel désarroi. Le rideau tombe sur les ultimes accords du thème de la rédemption qui, devant la liberté prise par Alex Ollé, sonnent presque irréels.

Ce n’est pas la première fois qu’un metteur en scène conçoit le Vaisseau d’après Senta, mais Ollé en tire toutes les conséquences en modifiant la fin de l’opéra. Cela nous agace mais on ne peut qu’admettre la cohérence d’un propos dont l’ouverture nous avait prévenu : Kazushi Ono a choisi la version 1841 qui se conclue non par l’hymne radieux de la rédemption mais par trois accords abrupts enchaînant sur la tempête ; cependant il a préféré le finale de la version révisée soulignant un hiatus assez piquant avec le choix de La Fura dels Baus. Plus une interrogation qu’une inconséquence.

Il se trouve qu’on sortait tout juste du visionnage de la reprise du spectacle de Jan Phillip Gloger pour Bayreuth, lecture déconnectée, ne procédant que par mépris, faisant tout à l’ironie, Daland et le Pilote dans un canot, etc. Au moins les Catalans sont dans le sujet et y restent. Océan déchaîné et incarné comme on ne se souvient de l’avoir jamais vu, et qui rappelle que Wagner, s’il écrivit tranquillement son Vaisseau à Meudon, en eut la révélation lors d’une traversée épique le ramenant de Riga à Londres en juillet 1839. Immense proue menaçant la salle à gauche, éclairs, tonnerre à l’orchestre, on y est !

Tout le spectacle coule dans le même sens, en tout fidèle à Wagner, la réinterprétation centrale de l’illusion de Senta se faisant par touches successives et subtiles. Que le Hollandais paraisse de la cale du vaisseau même de Daland qu’il hante, et son équipage fantôme, comme autant de zombies, se répand, libéré, à l’assaut de la coque, miracle de la vidéo.

Tout ce qui se donne à voir fascine, pli sur pli dans la musique de Wagner, sinon Erik, chasseur affublé d’une kalachnikov. Ce qui s’entend charme moins. Magdalena Anna Hofmann, enfin absolument soprano, chante éperdument une Senta qui serait de timbre idéale sinon que la voix lutte ça et là contre l’ambitus, même constat d’ailleurs pour son Hollandais. Simon Neal a le timbre exact du mort vivant, baryton sombre, voix creusée, qui semble se souvenir du mordant désespéré qu’y mettait Hermann Uhde. Mais il n’est juste que par éclipse, ce qui au regard de la puissance de son incarnation, jusque dans l’extrême lassitude, ne nous gêne pas plus que cela.

Falk Struckmann, parfait pour un Daland sans arrière-plan, qui ne voit rien et ne comprend rien, reste ici un modèle. Tomislav Muzek déploie son Erik avec un élan incontestable que contrarie son physique, Eve-Maud Hubeaux chante magnifiquement Mary, ça et là Luc Robert s’échoue sur le Pilote et parfois lui donne des ailes. Kazushi Ono dirige droit et sobre un orchestre sans faille. Mais le vrai héros de la soirée c’est le chœur, ardent, mordant, toujours d’une justesse absolue, envahissant et portant tout le Troisième acte avec une éloquence sciante. Bravo !

Jean-Charles Hoffelé | 16 Octobre 2014

anaclase.com

Il est des opéras qui s’ouvrent inévitablement sur une image quasiment obligée. Avec le fliegende Holländer wagnérien, il s’agit bien sûr d’un navire vieille formule, le plus gigantesque possible, du moins en fonction des dimensions du théâtre concerné, un navire qui jaillit tour à tour en jardin et en cour avant de s’immobiliser au milieu d’un monde (pour ne pas dire un océan) de vagues tumultueuses, réinventées au mieux (ou le moins mal possible) par le décorateur de service. Après quoi…

Dans certaines productions – et les mélomanes festivaliers estivaux ont des souvenirs peu palpitants en la matière [lire notre chronique du 12 juillet 2013], l’objet reste banalement là et encombre le premier acte. Dans la présente version que présente l’Opéra national de Lyon, il s’impose dès la première minute, alors même que sonnent les échos de tempête de l’Ouverture, dans un univers fougueux d’eau et de sable mouvant, zébré d’éclairs, agité d’ombres et de lumières, aussi vivant que fascinant. Le ton est donné, l’histoire est lancée. Le monstrueux habitacle flottant restera au cœur de l‘histoire tout au long des trois actes, pivot vital d’un monde où vivront les humains de l’affaire, en une intemporalité où l’aujourd’hui et l’hier se mêlent, se défient et se synthétisent, où la construction talonne la destruction et vice-versa, où l’humain se heurte à la nature, l’espérance à la résignation, l’amour à l’appât du gain.

On l’aura compris : active, combative, foisonnante mais sachant ménager des moments de repos, en osmose avec la partition, la composante scénique de ce spectacle s’avère aussi convaincante qu’efficace. Associant fort bien le travail scénique d’Alex Ollé, les décors d’Alfons Flores, les éclairages efficaces d’Urs Schönebaum, la vidéo point écrasante de Franc Aleu et même, globalement, les costumes de Josep Abril.

L’autre atout est musical, avec la direction précise au millimètre près, mais vivante de Kazushi Ono, très à son aise dans la sphère wagnérienne. Il dose avec art les plans sonores et sait même se faire lyrique quand il convient, dans cette œuvre de jeunesse, encore toute embuée d’effluves romantiques. Il tire de réelles beautés de l’orchestre local, en grande forme, et bénéficie d’un atout de poids : la vigueur, la musicalité, la ductilité du chœur « maison », dirigé par Philip White, son nouveau chef.

Cette symbiose est aussi présente dans une distribution plutôt bien équilibrée, dominée par le Hollandais aussi solide que subtil de Simon Neal. La Senta de Magdalena Anna Hofmann ne le lui cède en rien, avec son timbre musical et changeant, ses aigus jamais durcis, ses demi-teintes bien menées. Au delà de graves solides, le Daland de Falk Struckmann est nettement moins à l’aise dans le phrasé, mais tous sont bien entourés par Eve-Maud Hubeaux (Mary), Luc Robert (le Pilote) et par l’Erik tout d’une pièce de Tomislav Mužek. Ainsi l’institution lyonnaise ouvre-t-elle sa saison avec éclat.

GC | 16 Octobre 2014

webtheatre.fr

Beauté absolue pour un nouveau rendez-vous de l’Opéra de Lyon avec Alex Ollé, sociétaire du collectif catalan de La Fura dels Baus

Après l’émerveillement de son Tristan et Isolde (WT 2831 du 8 juin 2011), la sensible intelligence du Prisonnier de Luigi Dallapiccola et d’Erwartung d’Arnold Schönberg (WT 3689 du 10 avril 2013), il revient sur la scène lyonnaise avec l’un des premiers grands opéras de Richard Wagner, Der Fliegende Holländer/Le Hollandais volant rebaptisé en français Le Vaisseau Fantôme.

Splendeur de l’orchestre dirigé par Kazushi Ono, chant en équilibre d’une distribution homogène, déroulement d’images à couper le souffle, on s’embarque dès les premières mesures dans un voyage qui laissera des ondes dans nos mémoires. Le choc des oreilles s’allie à celui des yeux.

Tandis que la musique tempête en rage et en orage, sur scène le ciel se déchire, nuages striés d’éclairs par-dessus une mer démontée où la houle respire, se gonfle et se défait comme un ventre de femme. A jardin, grimpant jusqu’aux cintres la silhouette d’une proue de navire tangue, laminé de pluie et de vent. Est-ce le navire errant du Hollandais maudit condamné à perpétuité à parcourir les océans à moins de trouver, lors d’une escale octroyée tous les sept ans, l’âme sœur qui l’aimera jusqu’à la mort ? Ou celui de Darland le marchand voyageur qui rêve de la fortune que lui apporterait sa fille Senta moyennant mariage avec un bon parti ? L’un ou l’autre ou les deux à la fois, qu’importe puisque les hommes sont appelés à se rencontrer sur la baie où s’échoueront leurs navires. Pendant ce temps, Senta chantant une ballade, découvre le sort du nomade des mers et s’en éprend avant même de l’avoir rencontré. Lorsqu’ils se rencontreront, le coup de foudre réciproque sera instantané.

Le réel et le fantasmagorique

Une fois ancrés, les cargos vont se décharger dans une nature que les éléments auront peu à peu métamorphosée. Et c’est là que le subtil talent d’Alex Ollé se déploie dans les décors à transformations d’Alfons Flores, les lumières lustrées d’Urs Schönebaum et les vidéos mouvantes de Franc Aleu. Tout se développe l’air de rien, de ne pas y toucher, comme si les changements allaient de soi pour dénoncer, au fil des actions et des images, une société soumise au profit où règne l’exploitation des plus démunis et la pollution qui anéantit la nature.

De la carène désossée du cargo de Darland, débarquent des ouvriers en haillons qui transbordent des panneaux de tôles rouillées sur une décharge tandis que la mer asséchée, se gonfle en dunes sableuses d’où toute végétation a disparu. Les cales du bateau fantôme se peuplent d’un équipage de spectres, silhouettes blêmes grimpant le long des parois et s’envolant dans l’infini. Tout se mêle, le réel et la fantasmagorique.

Simon Neal, hollandais d’ici et d’ailleurs, au port aristocratique et au jeu distancié, une voix fragile où la douceur se rompt de graves coupant comme des lames.

Magdalena Anna Hoffmann : Senta adolescente au timbre lumineux passe de la fraîcheur de l’enfance encore proche à la maturité prête au sacrifice suprême, Falk Struckmann, basse de premier ordre est le parfait Darland, à la fois bonhomme et madré, papa/homme de commerce et de compromis. Parcours sans faute pour les seconds rôles comme le ténor Tomislav Muzek (Éric sincère), Luc Robert (Le Pilote) et Eve-Maud Hubeaux (Mary).

Pour servir cette œuvre mythique où tout le Wagner à venir est déjà en gestation, à l’excellence des chœurs se joint celui de l’Orchestre que Kazushi Ono dirige en amplitude et nuances. Il connaît la partition jusqu’au moindre soupir. Il y a 9 ans à la Monnaie de Bruxelles c’est lui avait sauvé une fade nouvelle production signée Willy Decker (voir WT 804 du 20 décembre 2005). Ici il en élargit encore la portée par ses battues habitées, son sens du tragique et du mélancolique. Sublime tout simplement.

Caroline Alexander | 16 Octobre 2014

ConcertoNet.com

Un Vaisseau fantôme à grand spectacle

En confiant les clefs du Vaisseau fantôme à Alex Ollé et ses comparses de la Fura dels Baus, Serge Dorny misait sur un Wagner spectaculaire. Sur ce registre, l’on a été servi. Dès l’Ouverture, vagues tempétueuses et éclairs vidéographiques se déchaînent, au-delà même de la satiété – problèmes de régulation technique a-t-on pu entendre. S’avance une carène de cargo, celle de Daland que le gros temps a fait échouer sur une étendue sablonneuse, tandis qu’une ancre tombe des cintres: le drame est amarré. Le Hollandais errant promène sa face blanchie à la chaux, salpêtre fantomatique qui renvoie aux projections de l’équipage du vaisseau maudit – bel exemple de virtuosité –, et Senta, en signe de partage de sa destinée, se recouvrira le visage de ce signe identitaire, mortel et rédempteur à la fois. Les moyens déployés par la scénographie d’Alfons Flores impressionnent – mention particulière à l’habileté avec laquelle le navire dévoile ses entrailles et se démembre au fur et à mesure de la soirée. Il n’est sans doute pas essentiel de faire le rapprochement avec quelque chantier de démolition navale du sous-continent indien, tant le propos demeure essentiellement illustratif. Si une actualisation politique affleure, elle reste suffisamment discrète pour ne pas dépasser le stade suggestif. L’on échappe au faix de transpositions conceptuelles pour mieux éviter de creuser les enjeux métaphysiques d’un livret à l’inspiration romantique déjà marqué du sceau de la Rédemption. Incontestablement maîtrisé, le travail de la compagnie catalane ne renouvelle guère la vision de l’ouvrage.

Dans le rôle-titre, Simon Neal fait valoir une belle présence, qui dépasse la grisaille tourmentée où l’on résume parfois le personnage. Falk Struckmann affirme un Daland solide où respire sa cupidité, à défaut d’un matériau parfaitement homogène. Douée de moyens indéniables, Magdalena Anna Hoffmann réserve à Senta un vibrato large, à la stabilité çà et là en conséquence, sans pour autant que ces perfectibilités n’impactent l’appréciable intensité de son incarnation. Si Eve-Marie Hubeaux ne démérite point, Tomislav Muzik possède la lumière et la couleur héroïque d’Erik, à défaut d’en tenir l’endurance avec un format à la limite. Quant au Pilote de Luc Robert, son entrée ne manque pas toujours d’imprécisions. A la tête de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon, Kazushi Ono, son directeur musical, livre une lecture vivante et contrastée, accentuant au besoin la verdeur des attaques dans la marine augurale – dont il donne la version initiale, de 1841, avec les trois accords secs, au diapason de son baguette vigoureuse. Les masses sonores détaillées avec soin pâtissent des faiblesses occasionnelles des cuivres. Nul en revanche à en déplorer du côté des chœurs, efficacement préparés par Philip White. Coproduit avec Lille, Bergen et Opera Australia, le spectacle devrait arriver sur la scène nordiste dans deux saisons.

Gilles Charlassier | 20 Octobre 2014

altamusica.com

En pleine tempête

Malgré une distribution inégale, très belle ouverture de la saison lyrique lyonnaise avec ce nouveau Vaisseau fantôme signé Alex Ollé du collectif La Fura dels Baus. Après Tristan in loco en 2011, le metteur en scène recrée une véritable dramaturgie fantasmagorique grâce au recours, plus pertinent que jamais, aux nouvelles technologies.

On l’a souvent écrit, l’Opéra de Lyon, qui compte parmi les salles les plus innovantes et audacieuses, bénéficie rarement de distributions à la hauteur de l’intérêt de ses productions. Ce nouveau Vaisseau fantôme ouvrant la saison 2014-2015 de l’Opéra Nouvel ne fera pas exception à la règle.

Inégal, ce plateau souffre avant tout d’une Senta rien moins que séduisante : médium affublé d’un vibrato lâche, aigus stridents, justesse fluctuante – une Ballade très instable. La Polonaise Magdalena Anna Hofmann montre ici d’évidentes limites, malgré une belle allure en scène et un format wagnérien.

Le Hollandais de Simon Neal, accidenté, couleur d’emblée expressive, voix tantôt bien conduite tantôt chaotique, aigus fébriles, a en comparaison une réelle distinction, et laisse entrevoir une vulnérabilité d’âme damnée qui colle parfaitement au rôle-titre, quand bien même l’intonation n’est jamais loin de se dérober. Présence écrasante, projection hénaurme, le Daland de Falk Struckmann est fidèle à lui-même, d’une vocalité de butor.

Timonier à Bayreuth, Tomislav Mužek est un Erik de moindre rayonnement, notamment par rapport au matelot claironnant et sans rêverie de Luc Robert. Félicitations en revanche à la jeune Eve-Maud Hubeaux, qui campe l’une des rares Mary bien chantantes qu’on ait entendues dans cet emploi sacrifié neuf fois sur dix.

Si l’on se laisse toutefois porter, c’est que Kazushi Ono est un véritable maître à bord, battue contrastée, sans excès, avec quelques petites chutes de tension mais davantage de magnifiques moments, excellent brassage de la houle orchestrale, attention permanente à la continuité dramatique de la version en un acte.

L’Orchestre de l’Opéra de Lyon se plie à la discipline de cette baguette avec un résultat infiniment plus probant que dans Parsifal il y a deux ans, et l’on saluera plus encore les chœurs de la maison, qu’Alan Woodbridge avait portés sur les sommets pendant presque vingt ans, avant de céder ici la place à Philip White.

Mais si ce Vaisseau nous marquera durablement, c’est avant tout grâce au travail scénique d’Alex Ollé qui, après un Tristan à la magnifique scénographie mais à la direction d’acteurs statique en 2011, signe ici une incontestable réussite en démontrant à quel point les nouvelles technologiques, employées avec un vrai professionnalisme, ont le plus bel avenir à l’opéra.

Dès l’ouverture, on est soufflé par une tempête où l’on ne peut distinguer ce qui relève du décor et de la projection vidéo, dans une séquence rappelant l’Odyssée de Pi d’Ang Lee. Sur une plage de dunes s’est échouée la proue d’acier d’un monumental cargo habité de créatures étranges, silhouettes macabres couvertes de chaux.

Après le pacte conclu par les propriétaires des deux navires, le vaisseau du Hollandais sera démonté pièce par pièce sur ce cimetière marin où les fileuses chercheront à recycler les objets glanés à l’intérieur de l’épave. On regrette seulement la pesante kalachnikov d’un Erik façon junte militaire, le contexte du port extrêmement pollué de Chittagong (Bangladesh) qui a inspiré le metteur en scène étant suffisamment éloquent.

Danses balinaises pendant la fête du III, spectres entre la Nuit sur le Mont Chauve de Fantasia et le royaume des morts du Seigneur des Anneaux, le tout dans une parfaite illusion visuelle entre réel et virtuel, Ollé réussit à nous faire croire aux données fantastiques du livret d’ordinaire impossibles à porter à la scène.

C’est là l’une des principales forces de Serge Dorny, probablement le directeur d’opéra de notre époque misant le plus sur les possibilités dramatiques offertes par les nouvelles technologies, si souvent méprisées ailleurs. On ne saurait lui donner tort tant la force du visuel et la crédibilité dramatique savent ici compenser les faiblesses vocales.

Yannick MILLON | Opéra national Lyon 17/10/2014

Diapason

Wagner à Lyon, c’est souvent l’assurance de belles images : on se rappelle un Parsifal réglé par Christophe Girard, puis le songe d’un Tristan conçu, déjà, par La Fura Dels Baus . Sous la direction d’Alex Ollé le collectif catalan récidive, embarquant cette fois sur Le Vaisseau fantôme. Dès l’Ouverture, la magie de la vidéo opère, soulevant sur tout le plateau une houle plus vraie que nature que fend la proue d’un cuirassé monumental. Bientôt, la coque du navire s’ouvrira pour en laisser sortir les marins, la mer se transformera en banquise, puis en plage de sable où ces dames viennent tirer le fil – ou plutôt faire quelques menus travaux pour le chantier naval voisin où l’on démantèle le fier vaisseau.

Un théâtre dont l’imagination ne contredit jamais le sens de l’œuvre

Si le metteur en scène prétend situer l’action à Chittagong, port du Bengladesh connu pour son formidable cimetière marin, la référence, assez discrète, préserve le caractère intemporel de ce grand spectacle. Distillant savamment ses effets, celui-ci culminera lors d’une tempête finale aussi effrayante qu’une nuit des morts vivants. Mais l’enchantement visuel serait vain sans une direction d’acteurs qui donne à chaque protagoniste son juste profil psychologique, imprime aux scènes de foule une vie naturelle. C’est bien un drame à la fois intime et universel qui se joue, sous nos yeux ébahis par ce théâtre dont l’imagination ne contredit jamais le sens profond de l’œuvre.

Beaucoup de musique, peu de métaphysique

L’interprétation musicale ne tutoie pas toujours les mêmes cimes. L’Orchestre de l’Opéra de Lyon nous a toujours semblé un peu étriqué dans Wagner – est-ce un effet de l’acoustique ? Kazushi Ono le dirige avec nerf, attentif aux détails et aux contrastes, d’un geste dégraissé qui regarde plutôt vers Weber que vers le Ring. Ce faisant, et n’évitant pas quelques sérieuses baisses de tensions, il peine à unifier la vaste fresque tracée d’un seul jet que doit être Le Vaisseau, à en sonder les abîmes. Beaucoup de musique, peu de métaphysique.

Simon Neal, Hollandais halluciné

Le plateau, lui non plus, n’est pas sans reproche. Si l’insolent ténor de Luc Robert resplendit dans les interventions du Pilote, le format mozartien de Tomislav Muzek, malgré ses grâces musicales, est un peu dépassé par les élans d’Erik, qui exigent un lyrisme plus musclé. Jadis valeureux Hollandais, Falk Struckmann est aujourd’hui Daland, grave percutant et charisme intacts. Magdalena Anna Hofmann met dans son chant une énergie mêlées de délicatesses, mais celles-ci ne sauraient faire oublier l’aigu vrillé de cette Senta, ni son intonation instable. Bien que limité aux extrêmes de la tessiture, Simon Neal, Hollandais halluciné, en impose par la force du verbe autant que par un timbre et des phrasés somptueux.

Arrivé à bon port, ce n’est sans doute pas le plus beau Vaisseau qu’on ait entendu. Mais un des plus séduisants qu’on ait vus, certainement.

Emmanuel Dupuy | 20 Octobre 2014

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Media Type/Label
Technical Specifications
320 kbit/s CBR, 44.1 kHz, 316 MByte (MP3)
Remarks
In-house recording
A production by Alex Ollé/La Fura dels Baus (2014)