Der fliegende Holländer

Asher Fisch
Chor und Orchester der Bayerischen Staatsoper München
Date/Location
8 March 2016
Nationaltheater München
Recording Type
  live   studio
  live compilation   live and studio
Cast
Daland Peter Rose
Senta Catherine Naglestad
Erik Tomislav Mužek
Mary Heike Grötzinger
Der Steuermann Dalands Jussi Myllys
Der Holländer Michael Volle
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Cette production marqua l’adieu de Sir Peter Jonas à la tête de la Bayerische Staatsoper en 2006. Sous son règne, commencé en 1993, Peter Konwitschny a laissé à Munich une trilogie wagnérienne comprenant Parsifal en 1995, Tristan und Isolde en 1998, et ce Fliegende Holländer. Peter Konwitschny est l’un des représentants les plus rigoureux du Regietheater et l’un des plus grands lecteurs de la dramaturgie wagnérienne.

Les deux premières productions citées sont toujours au répertoire de Munich, c’est dire, à travers leur longévité, l’importance qu’elles ont dans l’histoire récente du théâtre, notamment pour des œuvres aussi emblématiques. Der Fliegende Holländer revient régulièrement dans les programmes, cette fois avec une étincelante distribution (Michael Volle, Peter Rose, Klaus Florian Vogt, Heike Grötzinger, Jussi Myllys, Catherine Naglestad) et un chef rodé au répertoire, Asher Fisch.

Fixé sur Un ballo in maschera du 6 mars, je n’avais même pas regardé le programme du 5 mars, et c’est au tout dernier moment que j’ai tenté ma chance sous la colonnade du Nationaltheater. Bien m’en a pris. Le fil rouge des trois productions de Konwitschny, c’est le sacrifice féminin, et plus généralement le statut de la femme induit par les livrets. Pour Konwitschny, la femme est centrale dans ces opéras : il voit par exemple dans Kundry celle qui meurt et qui se sacrifie pour que l’ordre ancien et masculin puisse perdurer dans Parsifal.

Senta est une autre figure du sacrifice féminin et c’est autour d’elle que la mise en scène est construite, une mise en scène d’une rare intelligence, mais qui heurtera les amateurs de jolies histoires romantiques. L’opéra ou la défaite des femmes, comme l’a écrit Catherine Clément.

Trois actes et trois espaces différents, scandés par des baissers de rideau.

Le premier acte est celui de la rencontre Daland/Holländer, celui de la tractation, où Daland va vendre sa fille au très offrant, c’est une mise en place, relativement traditionnelle. Le décorateur Johannes Leiacker a composé un paysage romantique, toiles peintes, mer agitée, falaise, couleurs sombres, pas de vaisseaux mais deux passerelles qui se font face, à cour celle métallique, de Daland, et celle, usée et fragile, du Hollandais à Jardin. Des marins d’aujourd’hui, face à un Hollandais vêtu à la mode du XVIIème, avec un équipage comme sorti d’un tableau de Frans Hals ou Rembrandt. Ce sont donc deux univers qui vont se rencontrer, avec leurs valeurs, leur incompréhension mutuelle (amusant jeu avec les verres qui deviennent des calices d’or pris dans le coffre), leur manière de voir le monde. Seul l’argent les unit, car l’argent fait tout, et l’or n’a ni odeur, ni âge. Aussi l’arrivée du coffre plein des trésors promis exerce-t-elle une attraction immédiate sur Daland qui chourave au passage quelques colliers (c’est classique dans les regards sur l’œuvre), puis, moins classique, du Steuermann, qui tourne autour, qui tente d’assister à l’entrevue Daland/Holländer, qui essaie une cuirasse, puis un casque, un collier, une chaîne d’or et qui finit par appeler l’équipage qui plonge ses mains dans le coffre, pendant que les deux capitaines installés autour d’une table discutent sans apparemment prendre garde à ce qui se passe derrière eux.

L’équipage du Hollandais arrive à son tour pour rétablir l’ordre, pendant que le pacte est scellé entre Daland et le Hollandais.

Konwitschny a voulu confronter le monde du Hollandais non à une Norvège romantique du temps de Wagner, mais à une Norvège d’aujourd’hui : le temps pour le Hollandais n’a pas d’importance et ce qui intéresse Konwitschny, c’est la confrontation des valeurs d’aujourd’hui et d’hier, les permanences et les ruptures, et notamment le regard sur la femme.

C’est pourquoi après un premier acte à l’imagier troublé (paysage romantique de toiles peintes, vision théâtrale un peu surannée, mais pas trop) le deuxième acte change très violemment d’ambiance. Nous sommes précipités de nos jours, dans la salle aux murs immaculés d’un centre de fitness où les rouets ont laissé la place à des vélos d’intérieur sur lesquels pédalent un groupe de femmes sous la direction d’une coach (Mary) : survêtements, sacs de sport, miroirs, lumière aveuglante : le choc est rude, après un premier acte après tout relativement « traditionnel ».

Dans l’original, elle filent, et la surveillante (Mary) leur dit que plus elles filent et plus leur trésor (leur amoureux) leur apportera des cadeaux et de l‘argent. Manière de les encourager et de faire comprendre que leur travail n’a pas grand sens, que seul a du sens celui qui leur apporte l’argent. Manière aussi d’isoler le sort de Senta pour qui filer a encore moins de sens parce que son amoureux est chasseur et non marin, il apporte du gibier mais pas des trésors : Senta, même face à son monde, est ailleurs.

Pour Konwitschny, pédaler à vide dans une salle de sport ou filer au rouet pour son « Schatz » est signe d’inutilité et de vacuité : il n’a pas résisté à la similitude entre le mouvement du vélo et celui du rouet, et à la confrontation des femmes à l’inutile : que le Schatz soit le marin ou la « ligne » à préserver, c’est aussi vain et marque la vacuité des activités des femmes.

Senta est dans cette ambiance à la fois comme les autres et différente ; et le choc est double lorsque d’un côté apparaît Erik (Klaus Florian Vogt) en peignoir de bain blanc et sandales de plastique, et de l’autre le Hollandais en uniforme du XVIIème. Le tiraillement de Senta est visuellement installé, mais en même temps la nature différente des deux amours, qui va susciter le drame.

Voir Klaus Florian Vogt ainsi implorer Senta, m’a évidemment fait irrésistiblement penser au troisième acte de Lohengrin, autre dialogue de couple au-dessus du volcan, non dépourvu de violence ici, puisqu’Erik détruit le portrait que Senta porte avec elle.

La rencontre avec le Hollandais, se joue dans ce décor profane, incongru face à ce qui est en jeu, Erik en peignoir et le Hollandais en marin du XVIIème est une scène qui pourrait faire sourire. Ce n’est pas le cas : l’altérité du Hollandais explique au contraire la nature de la volonté de Senta, désireuse de rédemption (Erlösung), c’est à dire de mourir pour sauver. Une sorte de vocation au martyre qui n’a rien à voir avec un amour terrestre (au contraire de la mise en scène de Jan Philipp Gloger à Bayreuth qui est fondée sur la rencontre amoureuse), l’amour terrestre est ce que vit Senta avec Erik, et d’une certaine manière, la lutte d’Erik s’apparente à celle d’un amoureux qui empêcherait son aimée d’entrer au couvent.

Le deuxième acte va donc se terminer par le magnifique duo où Senta se promet « bis zum Tod », jusqu’à la mort, dédiée, par un amour mystique. C’est bien de la nature de la « vocation » de Senta qu’il est question ici, dont la fidélité est mystique et non terrestre. Mais le Hollandais veut non un mariage mystique, mais bien terrestre: il sort de sa valise une robe de mariée un peu fripée (c’est l’âge!) dont il revêt Senta. Konwitschny, qui travaille sur la version 1843 (et non 1860 avec la rédemption) travaille sur un opéra aporétique, où la seule solution, c’est la mort, sans rien que le néant. D’ailleurs, il joue sur les mots Lösung (solution) et Erlösung (rédemption), affirmant que lorsqu’il y a « Erlösung », il n’y a pas de « Lösung », en appelant aussi à l’exemple de Kundry.

Ainsi donc, le don de Senta n’est pas un don de corps, mais un don de vie.

Le Hollandais, qui vit avec les valeurs du XVIIème vit cette union comme un exemple de fidélité totale, tragique, mais d’une certaine manière, à la mode tragique du XVIIème ; Senta quant à elle donne sa vie, dans un mouvement mystique où toute trace d’amour terrestre a disparu.

Ainsi le troisième acte va mettre en scène les oppositions jusqu’à la déchirure dans un espace clos, qui laisse voir au fond le paysage du premier acte, coincé entre les battants de porte, et qui est une taverne étrange avec à jardin un comptoir où les marins debout se saoulent à la bière, sous la lumière électrique et à cour, recroquevillés, presque dormant, les marins hollandais, assis à des tables avec des chandelles plantées dans des bouteilles. Le tout dans un espace unique et donc paradoxal, chacun vivant la vie à laquelle il est accoutumé, deux vies qui finissent par s’opposer dans une ambiance violente et fantasmagorique dans la scène de la tempête, interrompue par l’arrivée d’Erik, cette fois-ci en habit de chasseur, qui va tenter une dernière fois de récupérer Senta. Emergeant du groupe de ses marins le Hollandais surgit, accusant Senta d’infidélité et de manquer à sa parole, et précipitant son départ.

Konwitschny ainsi souligne un aspect peut-être jamais vraiment souligné de l’opéra, à savoir que résolument arcbouté sur ses valeurs et ses exigences, le Hollandais ne sait pas voir chez la jeune fille le don mystique de soi, et pense qu’elle est tiraillée entre Erik et lui : il fait une crise de jalousie qui n’a pas lieu d’être. Et peut-être peut-on supposer que les errances du Hollandais sont aussi le fruit de sa rigidité, de son absence de regard sur l’autre, de l’aveuglement dû à son désir de se sauver à tout prix, et donc de la négation de Senta en l’occurrence, mais de toutes les femmes qu’il a peut-être rencontrées déjà. Senta cette fois-ci devant l’aporie de sa situation, désirant donner sa vie, que le Hollandais refuse au nom de valeurs qui n’ont pas lieu d’être, et ne supportant pas l’insistance terrestre d’Erik, choisit…de tout effacer. Effacer l’histoire, effacer sa vie et effacer du même coup la musique. Elle fait exploser un baril de poudre, noir en salle, arrêt de la musique. Surprise.

Et on commence à apercevoir émergeant de l’ombre peu à peu l’ensemble des artistes prêts à saluer, tandis qu’on entend dans le lointain la musique brutale de la fin de l’opéra comme sur le son d’un vieux gramophone, parce que la situation ne pouvait avoir de fin « normale » (pas de « Lösung ») mais que tout devait être annihilé (et pas d’ « Erlösung » non plus). Le néant, scénique et musical.

On se prend à rêver du charivari qu’à Paris ou Milan qui n’aiment pas le Regietheater un tel travail aurait sans doute provoqué. Et pourtant, Konwitschny prend acte d’une version musicale sans rédemption, pour proposer une vision sans rédemption, sans solution, avec musica interrupta, dans un travail d’une grande intelligence et d’une très grande violence, y compris visuelle. C’est un travail évidemment sur la psychè, vu à travers le refus de tous de prendre en compte qui est Senta et sa nature profonde. Rien de romantique, ou du moins, un romantisme qui est une impasse tragique, ou la mort n’est pas mort théâtrale où l’on verra l’héroïne se jeter dans la mer, comme Tosca se jettera du haut du Château Saint Ange, pour rejoindre l’aimé, mais où elle décide de tout suspendre, de tout effacer, de tout faire disparaître dans un néant alors partagé par chanteurs musiciens et spectateurs. Le Gramophone lointain étant ce qui nous reste après la fin du théâtre.

C’est un travail très intelligent et réfléchi même si radical, dans la mesure où il s’attaque à la musique, même pour la dernière minute, qui reste le climax évidemment. La privation du climax musical pour le remplacer par un climax scénique se comprend et se défend, évidemment, même si je pense à la frustration de certains spectateurs, d’autant que je ne suis pas sûr que tous aient pu remarquer (à l’ouverture) qu’il s’agissait de la version 1843, sans rédemption et donc sans ajout musical des dernières mesures « rédemptrices » de 1860. Rompu à cette production, le chœur de Sören Eckhoff est clair, énergique, magnifiquement sonore et en même temps incroyablement tendu ; le début du troisième acte est à ce titre exemplaire. Mais c’est habituel dans ce théâtre.

Même si ce n’est pas la distribution d’origine, sauf pour Klaus Florian Vogt, qui n’assure pas les deux suivantes (assurées par Tomislav Muzek), la compagnie réunie défend très bien l’ensemble du propos. Peter Rose, qu’on a tellement l’habitude de voir en Ochs qu’on en est presque étonné de le voir dans un autre rôle, assure le rôle de Daland avec une diction parfaite : le texte est d’une très grande clarté, avec une projection parfaite, et la voix passe en salle sans aucun problème. C’est un Daland de classe, bien engagé scéniquement et dont la voix se différencie parfaitement avec celle de Michael Volle dans le Hollandais, ce qui n’est pas toujours le cas, notamment avec une couleur moins sonore, un peu plus mate : il incarne une voix « bourgeoise », pourrait-on dire.

Michael Volle est un modèle d’intelligence du chant, d’expressivité et de tension ; il n’y a aucun doute possible : il est vocalement le Hollandais, avec une telle perfection dans la diction, l’expression, l’émission, la projection qu’on reste quelquefois pantois, devant tant de science du dire et tant d’émotion contenue. Son monologue d’entrée est tout simplement prodigieux, et je ne parle même pas des duos, qui sont des modèles. Il est aristocratique dans son dire, dans sa manière de chanter, dans la manière de colorer. Catherine Naglestad en Senta est un peu décevante, cette Brünnhilde, cette Tosca, n’a pas toujours la ligne pour Senta. Elle en a évidemment les aigus et ses dernières minutes sont époustouflantes comme si enfin la voix sortait se confronter avec le destin. Il reste que dans la ballade, il est vrai menée avec un tempo ravageur pour les voix tant il est lent, elle est contrainte de moduler plus que de raison, et la voix a des difficultés à « tenir la distance » et maintenir la stabilité de la ligne de chant et n’a pas l’éclat qu’on attendrait dans ce morceau de bravoure ; elle est à la peine. Il reste que le personnage est là, tel qu’il est voulu par la mise en scène. Elle est meilleure dans le duo avec le Hollandais, et ne semble n’entrer vocalement dans le rôle que dans la scène finale.

Si la Mary de Heike Grötzinger n’appelle pas de remarque dans sa version « coach de salle de sport ». Klaus Florian Vogt était Erik, un rôle presque secondaire pour lui tant on a désormais l’habitude de le voir en Parsifal ou Lohengrin. Il mène son duo du deuxième acte– est-ce simplement une impression personnelle ?- comme Lohengrin avec Elsa, soignant comme d’habitude chaque parole, chaque note tenue, filée, avec une douceur séraphique ; il semble moins à l’aise dans les parties un peu plus héroïques, et notamment dans la dernière scène ; mais son travail est une vraie leçon de chant. Un Erik aussi poétique, aussi élégant semble tomber du nuage des anges.

Belle prestation du jeune Steuermann de Jussi Myllys : la voix est claire, bien projetée, le comportement scénique très juste. En fait, une distribution de grande classe, et qui aurait garanti une vraie grande soirée, si la direction de Asher Fisch n’avait pas un peu éteint ce bel enthousiasme. Asher Fisch n’est pas un chef médiocre, et son Fliegende Holländer est très au point (il est vrai que c’est le répertoire de l’orchestre), sans bavures et quasiment sans scories, mais il ne réussit pas à tendre dramatiquement son approche, qui pour la version de 1843, demanderait un autre halètement, comme une course à l’abîme : le tempo est plutôt lent, ce qui met quelquefois les chanteurs à la peine, obligés de tenir les notes plus que de raison, et la tension ne correspond pas à ce qu’on voit sur scène. Autrement dit, il y a à mon avis trop de « raffinements » de mignardises qu’il n’y a pas à avoir ici. J’ai l’impression que Asher Fisch italianise un peu la partition, demandant à ses chanteurs, Naglestad par exemple, certains moment presque italianisants. Même s’il remporte un beau succès, et que la prestation est loin d’être scandaleuse, il ne m’a pas vraiment enthousiasmé, ni apporté quelque chose de neuf ou d’inattendu.

Ce qui est soirée de répertoire à Munich serait ailleurs sans doute soirée exceptionnelle vu la distribution. J’étais heureux d’avoir pu « improviser » cette nouvelle soirée Wagner. Même quand on vient pour Verdi, Wagner n’est jamais bien loin à Munich.

10 mars 2016

Rating
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User Rating
(3/5)
Media Type/Label
Premiere
Technical Specifications
320 kbit/ CBRs, 44.1 kHz, 321 MByte (MP3)
Remarks
In-house recording
A production by Peter Konwitschny (2006)