Lohengrin

Valery Gergiev
Chœurs et Orchestre de l’Opéra National de Paris
Date/Location
5 June 2007
Opéra Bastille Paris
Recording Type
  live   studio
  live compilation   live and studio
Cast
Heinrich der Vogler Jan-Hendrik Rootering
Lohengrin Ben Heppner
Elsa von Brabant Mireille Delunsch
Friedrich von Telramund Jean-Philippe Lafont
Ortrud Waltraud Meier
Der Heerrufer des Königs Jewgeni Nikitin
Vier brabantische Edle ?
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Reviews
forumopera.com

A deux doigts du Graal

Les Contes d’Hoffmann, Capriccio, Rusalka,… Robert Carsen aura produit certains des plus beaux spectacles du répertoire de l’Opéra de Paris. Son Lohengrin, cependant, n’atteint pas un tel niveau. On nous montre d’abord la détresse et le désoeuvrement du peuple, errant autour des débris d’un vieux blockhaus, terrorisé par des policiers qui peuvent éventuellement rappeler des milices SS. On nous montre alors combien Lohengrin est important pour eux, que sa venue est perçue en signe d’espoir, et, pour ainsi dire, en Messie. On nous montre donc à quel point son départ est cruel, même si le retour du jeune Gottfried, après son passage au service du Graal, est un heureux présage (le jeune frère d’Elsa plante un arbrisseau, au milieu du béton armé…). Cependant, la manière pose parfois problème : l’arrivée de Lohengrin, au milieu d’une forêt luxuriante, est très kitsch. Et la place du village ainsi que la chambre nuptiale sont tellement laides qu’on en arrive à se demander si le Chevalier au Cygne n’est pas soulagé de devoir repartir ! Heureusement, on peut alors compter sur la direction d’acteur, cohérente et lisible, pour sauver l’honneur du spectacle et la réputation de Carsen : même s’il ne s’agit pas de sa meilleure réalisation, son Lohengrin est certes bien pensé, et intelligemment mené.

Mais plus que la mise en scène, c’est la distribution qui nous fait passer une excellente soirée : Ben Heppner n’est pas l’acteur du siècle, mais on lui pardonne bien volontiers tant son art, cette manière inimitable de chanter Wagner comme du Mozart, son legato exemplaire et sa facilité déconcertante à faire sonner les mots sans jamais brusquer une ligne de chant quasi irréprochable, est grand et merveilleux !

De la même façon que Ben Heppner connaît bien son Lohengrin, Waltraud Meier connaît son Ortrud, depuis longtemps, et, comme le ténor canadien, elle déclenchera aux saluts d’impressionnantes ovations… pas tout à fait pour les mêmes raisons, néanmoins. Si la voix est toujours admirable de puissance et de solidité, les aigus accusent désormais certaines tensions. Mais l’engagement scénique balaye toutes les réserves. Pas de petites crises d’hystérie ou de vociférations méprisables chez cette Ortrud, mais une véritable rage, altière, irrésistible et dévastatrice, une rage hallucinée et hallucinante.

Face à ces deux incarnations majeures, Mireille Delunsch, indéniablement, s’impose. Si le timbre ne possède pas toute la luminosité que l’on voudrait, les accents et les gestes de l’artiste forment une belle Elsa, une jeune fille de caractère et de volonté plutôt qu’une adolescente mièvre et fleur bleue. Evgeny Nikitin, quant à lui, semble s’affirmer dans le répertoire wagnérien, si bien qu’on attend impatiemment, toujours à Bastille, son Klingsor (en mars 2008) et son Kurwenal (en novembre 2008).

Jean-Philippe Lafont et Jan-Hendrik Rootering déparent alors ce superbe casting, mené de main de maître, avec une précision analytique autant qu’avec une force enthousiasmante, par Michael Güttler (Valery Gergiev, selon l’annonce, n’était « pas en état de diriger »). Le baryton français, vocalement épuisé, n’est pas toujours audible tandis que la basse allemande, également en mal de projection, ne semble jamais s’investir dans son rôle. Un Telramund plus en forme et un Heinrich plus charismatique auraient pourtant rendu cette représentation exceptionnelle… celle-ci était tout de même excellente : réjouissons-nous, le Graal n’était pas si loin !

Clément TAILLIA | Paris, Opéra Bastille, le 2 Juin 2007

ConcertoNet.com

On l’a souvent dit : dans Lohengrin, les choses se passent entre Lohengrin et Ortrud, dont les manœuvres ont raison de la pauvre Elsa. C’est bien le sentiment que laisse la reprise de la production de Robert Carsen, surtout quand on entend Ben Heppner et Waltraud Meier, les deux figures de proue de la distribution. Le premier est Lohengrin : voix suave et puissante à la fois, faite pour ce rôle si souvent cantonné dans le haut médium, sans ces raideurs d’émission propres à beaucoup de ténors héroïques ou proclamés tels, phrasant tout comme si le rôle n’était qu’un immense Lied. Et la technique étant sûre, on le retrouve aussi frais à la fin qu’au début, aussi lumineux de timbre. De même, la seconde est Ortrud. Certes le médium se dérobe désormais, mais l’aigu tient bon, sans ces cris que la noirceur du personnage arrache à tant de ses consœurs. La magicienne a plutôt ici un air de vamp des ténèbres, d’une beauté ravageuse qui annihile un Telramund aussi perdu qu’éperdu, mielleuse et fielleuse, toujours maîtresse de ses moyens, jamais désordonnée, même quand elle se déchaîne, offrant elle un leçon de subtilité dans le chant et dans le jeu. Cela dit, confirmant ses affinités avec le répertoire allemand, Jean-Philippe Lafont n’est nullement écrasé : rodé à Bayreuth, son Telramund frappe par la qualité de l’articulation, le souci de la ligne pour un emploi où la tentation reste grande de la malmener sous le poids de la vocifération haineuse, sobre lui aussi dans l’expression de sa violence, portant encore beau malgré une voix dont le temps a un peu émoussé le métal, le mordant, parfois la projection.

Mireille Delunsch, en revanche, s’avère de plus en plus décevante au fur et à mesure de la représentation : comme le Rêve est bien phrasé, on passe sur le manque de charme et de grâce du timbre, même si Elsa se conçoit difficilement ainsi ; mais le deuxième acte est très scolaire, avec, faute d’un souffle suffisamment maîtrisé ou de scrupules articulatoires excessifs, une incapacité à tenir la ligne, le troisième révélant au contraire une articulation empâtée et un médium qui sonne creux. Le Roi de Jan-Hendrik Rootering, de son côté, manque de projection dans les graves, ce qui lui donne un air bonhomme et fatigué contraire au personnage. Tout le contraire du héraut impérieux mais très stylé d’Evgeny Nikitin, d’une santé vocale remarquable, qu’on verrait bien en Frédéric. On a connu parfois le très – voire trop – médiatique Valery Gergiev superficiel et bruyant, sacrifiant tout à l’effet : rien de tel ici, alors qu’il serait pourtant facile de se laisser aller au pompiérisme dans ces chœurs martiaux, ces cortèges façon grand opéra, ces fanfares guerrières. Après un Prélude plus intense que statique, le chef russe tend l’arc du premier acte sans se relâcher dans les moments un peu longs, sait ensuite s’abandonner au lyrisme intimiste de certains passages comme le duo du troisième acte, quitte à étirer ou à alanguir certaines courbes – à la fin du duo entre Elsa et Ortrud par exemple –, toujours très attentif en tout cas à ces combinaisons de timbres par lesquelles Wagner caractérise ses personnages – très belle introduction au deuxième acte, avec ses cordes et ses vents graves. Le chœur et l’orchestre sont superbes.

Chœurs martiaux, fanfares guerrières. D’emblée, pourtant, Robert Carsen nous en dit la vanité et le danger : un bunker ou un blockhaus au béton effondré sert de décor ; le chœur est habillé tristement, laidement même ; les képis et les uniformes ont un style ex-pays de l’Est. La production date d’une dizaine d’années : cela ne fait plus guère d’effet aujourd’hui et sent le réchauffé. Du coup, on trouve bien jolies les frondaisons de Montsalvat d’où émerge Lohengrin au premier acte, accompagné de son cygne, avec sa cotte de mailles et son cor : opposition radicale entre deux univers dont on comprend d’emblée qu’ils ne pourront se rejoindre, finalement aussi dérisoires ou aussi anachroniques l’un que l’autre. Bref, le propos, visant probablement à rappeler l’ambiguïté du message wagnérien, n’a rien de très original. Mais on retiendra les beaux jeux de lumière de Dominique Bruguière et, surtout, une direction d’acteurs très approfondie, comme toujours chez Carsen, que favorisent il est vrai des chanteurs très doués pour la scène, Ben Heppner lui-même, sans doute pas un comédien né, se prêtant plutôt bien au jeu. Et il y a des moments forts dans la production comme la fin du deuxième acte où Ortrud fait face, de son balcon de béton, au couple Lohengrin-Elsa. Ortrud à laquelle, très judicieusement, le metteur en scène canadien donne toute sa place dès le premier acte bien qu’elle n’ait que quelques mesures à y chanter, comme si tout commençait dans l’intimité ténébreuse de ce couple à la Macbeth. Ortrud encore dressée sur la scène à la fin, ivre de haine, victorieuse dans sa défaite, tandis que le petit duc ressuscité, vêtu de blanc immaculé, plante un arbre, comme une promesse de paix.

Didier van Moere | Paris, Opéra Bastille, le 2 Juin 2007

anaclase.com

Dans la lumière rasante et crue d’un Brabant désolé, Valery Gergiev amorce le Vorspiel du premier acte dans un recueillement qui répond douloureusement à la désolation prostrée du plateau. Le climat s’impose immédiatement, le chef russe servant à la fois la partition wagnérienne et la vision qu’en eut le metteur en scène pour cette production de 1996. Au fil de la représentation, un souffle inspiré porte cette lecture, toujours précise, concentrée et même ténue, jusqu’à former une ogive dramatique somptueusement dessinée. Attentif à la cohérence dramaturgique comme à chaque détail plus pragmatique de sa charge (le fragile équilibre à maintenir entre fosse et scène, par exemple), Gergiev livre une interprétation d’une remarquable profondeur, avec la complicité des musiciens de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris qui, malgré quelques incertitudes réitérées des cuivres, honorent l’œuvre. De même les artistes des Chœurs, préparés par Peter Burian, s’avèrent-ils plus qu’efficaces, avec des interventions tant vaillantes que nuancées.

En dépit d’un préambule qui pourrait donner à penser que la soirée s’élève au rang des grandes du genre, avouons que la distribution se montre plutôt inégale. Certes, Jean-Philippe Lafont sait se faire entendre, quelque soit l’effectif instrumental mis en action, mais au prix d’attaques souvent heurtées et d’une ligne de chant presque toujours maltraitée. Du coup, son Telramund lasse vite, alors qu’il se montre par ailleurs plus délicatement expressif – il est vraiment touchant dans l’absurde désarroi de l’Acte II qui le pousse à défier une nouvelle fois le héros, par exemple. On s’en souvient [lire notre chronique du 6 octobre 2003] : Mireille Delunsch incarnait Elsa à Bordeaux où elle parvint à camper une princesse vocalement étroite mais crédible dans l’ensemble ; ce soir, dans les proportions moins confidentielles de l’Opéra Bastille, sa prestation demeure insuffisante. Avec un bas-médium et un gave éteints, un aigu javellisé, le personnage paraît sans consistance et le théâtre, qu’avec bonne volonté elle s’efforce d’y accoler, n’y peut mais. De même, si la dignité veloutée du timbre de Jan-Hendrik Rootering offre à Heinrich der Vogler des phrasés savamment menés, on regrette un impact aujourd’hui assez couvert qui rend malaisé l’accès à ses incontestables joliesses.

En revanche, la représentation prend avantageusement appui sur trois voix dont on saluera l’efficacité. Si Evgueni Nikitin ne nous convainquit guère en Godounov [lire notre chronique du 11 décembre 2005], son Hérault s’avère fiable, parfaitement en place et généreusement projeté, réunissant en son chant présence, clarté et grâce du phrasé, sans compter une santé confondante. En grande habituée du rôle, Waltraute Meier donne une Ortrud sinueusement excitante, n’hésitant pas à utiliser les ressorts les moins flatteurs du timbre comme les couleurs les plus appropriées – son invocation des divinités archaïques est passionnante. Enfin, c’est un Lohengrin évident que livre Ben Heppner, le chant allant tout simplement de soi, élégamment mené jusqu’à l’ultime révélation.

Onze ans plus tard, la mise en scène de Robert Carsen n’a pas pris une ride. Son triple cadre s’ouvrant sur un horizon de blockhaus face à une mer grise au morne ciel blanc contraste avec l’apparition superbe de verdure luxuriante du Cygne à l’impact inusable, le passage du héros cristallisant un rêve impossible auquel chacun des Brabançons a besoin de croire. Cette vision continue d’interroger l’œuvre et le public, tout en sondant le regard que nous pouvons porter sur notre temps et son histoire.

bertrand bolognesi | Opéra national de Paris / Auditorium Bastille – 19 mai 2007

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Media Type/Label
Technical Specifications
224 kbit/s CBR, 44.1 kHz, 274 MByte (MP3)
Remarks
In-house recording
A production by Robert Carsen