Das Rheingold

Alain Altinoglu
Orchestre Symphonique de la Monnaie
Date/Location
31 October 2023
Théâtre Royal de la Monnaie Bruxelles
Recording Type
  live  studio
  live compilation  live and studio
Cast
WotanGábor Bretz
DonnerAndrew Foster-Williams
FrohJulian Hubbard
LogeNicky Spence
FasoltAnte Jerkunica
FafnerWilhelm Schwinghammer
AlberichScott Hendricks
MimePeter Hoare
FrickaMarie-Nicole Lemieux
FreiaAnett Fritsch
ErdaNora Gubisch
WoglindeEleonore Marguerre
WellgundeJelena Kordić
FloßhildeChristel Loetzsch
Stage directorRomeo Castellucci (2023)
Set designerRomeo Castellucci
TV directorAnaïs Spiro
Gallery
Reviews
olyrix.com

L’Or du Rhin perdu, La Monnaie Sanctuaire pour Castellucci

La conception scénique du “Ring” s’impose comme une entreprise d’envergure considérable pour toute institution. La Monnaie relève à nouveau le défi, plus de trente ans après (le cycle mis en scène par Herbert Wernicke, dirigé par Sylvain Cambreling). Le metteur en scène Romeo Castellucci fait encore une fois preuve d’originalité. Détournant les attentes d’un public curieux de découvrir un décor de forêts héraldiques et médiévales, c’est radicale, dépouillée et hellénistique que la scène s’ouvre, vestige d’un passé lointain.

Statues lacunaires et débris corinthiens de la grande civilisation grecque côtoient la symbolique Wagnérienne matérialisée sur scène grâce à l’anneau de métal brillant, des cercles d’or reprenant le symbole du perpétuel, mais également l’eau du Rhin figurée par la centaine de corps des figurants dénudés. Métalliques et luisants, ces éléments diffusent une lumière mystérieuse, renforcée par des effets scéniques à la limite de la magie, comme l’apparition du demi-Dieu du Feu, le bras tenant une flamme ou des cascades d’or en suspension dans l’air (opérées par une projection lumineuse sur de la brume d’eau).

Afin de justifier la transposition du décor dans une ruine hellénistique, Romeo Castellucci rappelle la notion de Gesamtkunstwerk, “œuvre d’art totale” développée par Wagner en s’inspirant de la tragédie antique grecque. Fatigué du trop plein d’artifices de l’opéra allemand du XIXème siècle, Wagner tentait de se débarrasser de tout élément superflu ou superficiel, ce que Castellucci vise à perpétuer ici.

Face à notre époque de sur-consommation, Romeo Castellucci invite le public à se jeter sans bouée dans l’eau du Rhin et même du Vacuum (espace vide et sans matière) en appréciant la nudité de la scène au sens propre comme figuré avec ces figurants nus (en sous-vêtements chair).

« Aborder une nouvelle mise en scène du Ring, c’est faire face à un autre mythe qui a pour nom “Richard Wagner”, lequel, pour ce projet gigantesque, a utilisé une mythologie qui était déjà morte, qui n’existait plus. » —— Castellucci

Face au dépouillement scénique, l’Orchestre rend la fluidité et la souplesse du fleuve avec force. Sous la direction intense d’Alain Altinoglu, les émotions des personnages sont abordées tout en révélant leurs sentiments et leurs volontés souvent contradictoires, laissant le public comme témoin malgré lui de la complexité humaine. Les lignes musicales évoluent ainsi de colère en tragique avec un déploiement particulièrement fin. La force de touche chromatique s’allie avec une grande acuité au service d’une intensité théâtrale.

L’envergure orchestrale est à la mesure de la partition, rendue avec une fluidité et une brillance qui patine l’Or du Rhin en une touche bien personnelle. Exit les dix-huit enclumes, La Monnaie est équipée par un dispositif électronique et réduit légèrement l’effectif en musique de scène (3 enclumes), ainsi qu’une harpe. Le résultat est ainsi fidèle à l’art total de Wagner, avec une touche légèrement plus ouatée, signée Altinoglu.

Dans sa logique de dépouillement scénique, Castellucci laisse place à la voix des solistes et de leur qualité de jeu. Les scènes sont plus proches d’un tableau vivant ou d’une scène figée, où chaque personnage se meut avec minimalisme.

Figure de puissance de l’opus, Wotan est figuré par Gábor Bretz. Faisant comme plusieurs de ses collègues ses débuts dans le rôle, le baryton-basse s’impose puissant, altier et mesuré, d’autorité avec une voix grave et une froideur de jeu magnanime.

Scott Hendricks marque lui aussi la distribution avec une maîtrise de jeu et de chant au service de son premier Alberich. Le baryton joue du caractère repoussant de son personnage, poussant la voix et marquant une prosodie caricaturale, pourtant précise et maîtrisée. Une fois que l’anneau étend son pouvoir, Alberich se transforme et Scott Hendricks propose un basculement vers le tragique, plus sensible, plus naturel, de ligne vocale également.

Le ténor Julian Hubbard (Froh) s’approprie un chant plus classique, précis, direct et vibrant en compagnie d’Andrew Foster-Williams (Donner) et sa voix de baryton-basse marquée par un timbre plus grave et profond, plus rond.

Dans le rôle de Loge, demi-dieu du feu, Nicky Spence fait étonnamment écho avec sa dernière interprétation de Pape à La Monnaie dans Le Nez de Chostakovitch. Tout aussi théâtral et facétieux, le ténor détonne parmi la distribution. Précis, versatile et sans aucune difficulté apparente, il dessine son personnage avec une prosodie et une présence très rafraîchissante.

Marie-Nicole Lemieux débute dans le rôle de Fricka qu’elle incarne avec une profondeur, tant de jeu que de voix contralto. Modelant ses lignes avec rondeur et générosité, c’est dans le tragique que la soliste se révèle, maîtrisant les raucités volontaires d’une souffrance tragique.

Plus aérienne et versatile, Anett Fritsch figure une Freia discrète et raffinée. Les lignes vocales sonnent avec chaleur, rondeur et légèrement cuivrées.

Fidèle à sa théâtralité, Nora Gubisch brille dans le rôle d’Erda. La mezzo-soprano au ton chaud, vibrant et cuivré marque un jeu tout aussi précis que sa prosodie allemande piquante.

Le ténor Peter Hoare brille aussi, avec une interprétation très vive et théâtrale du forgeron. Les cris de désespoir de Mime sonnent forts et poignants, témoignant d’une maitrise vocale puissamment déployée.

Ante Jerkunica offre comme à son habitude une voix abyssale de basse au service du rôle de Fasolt. Accompagné par son frère Fafner, figuré par Wilhelm Schwinghammer, tous deux incarnent des géants de puissances et de pouvoir profonds.

Ces géants semblent encore plus grands tandis que les personnages de Wotan, Donner, Froh, Fricka et Freia sont alors représentés par de jeunes enfants, mimant le chant des solistes placés en coulisse. Jouant avec le temps et les âges, la mise en scène remplacera ces enfants par des personnes du troisième âge : à peine Freia (déesse de la jeunesse) se fait-elle enlever par les géants, que les dieux du Walhalla se mettent à vieillir.

Enfin, les trois filles du Rhin, entièrement dorées font briller leur voix dans une confondante et troublante harmonie réunissant Eléonore Marguerre, Jelena Kordić et Christel Loetzsch en Woglinde, Wellgunde et Flosshilde.

Pour ce cycle du Ring réparti sur deux saisons, Romeo Castellucci a décidé de traiter chaque opus comme une œuvre indépendante (du moins de décor). Ce premier “épisode” aura charmé le public belge qui le témoigne par ses applaudissements chaleureux, tout en attisant sa curiosité pour le prochain rendez-vous. Affaire à suivre donc avec La Walkyrie en janvier prochain.

Soline Heurtebise | 25/10/2023

bachtrack.om

Alain Altinoglu et Romeo Castellucci illuminent L’Or du Rhin à La Monnaie

Monter un Ring est toujours une aventure. Mais avant même que ne débute cette très attendue Tétralogie bruxelloise qui s’étendra sur deux saisons, on pouvait partir de deux présupposés assez logiques. Le premier est que sur la foi des Lohengrin, Tristan et Parsifal déjà remarquablement dirigés par Alain Altinoglu, la partie musicale allait certainement être de premier ordre.

Le second est qu’une fois de plus, on ne savait pas trop à quoi s’attendre de la part de Romeo Castellucci. S’il est permis de reprocher au déconcertant metteur en scène italien des tics et des procédés parfois lourdement insistants, il faut cependant aussi lui reconnaître une réelle qualité, parfois enfouie sous ses maniérismes énervants : loin des mises en scène platement illustratives ou gratuitement provocatrices de nombre de ses confrères, il a le talent d’interroger l’œuvre au plus près, de sortir le spectateur de sa zone de confort et de poser des questions souvent extrêmement pertinentes.

Son début de L’Or du Rhin est réellement saisissant. Avant même que ne débute le célèbre prélude, apparaît sur la scène de La Monnaie plongée dans le noir un immense anneau doré descendant des cintres et qui, à peine touchée la scène, tourne doucement sur lui-même avant de s’écraser avec fracas. L’apparition des trois Filles du Rhin accompagnées de trois danseuses se détachant de l’obscurité toutes illuminées d’ocre est un ravissement et on comprend sans peine l’émoi d’Alberich.

Le décor conçu par Castellucci fait du Walhalla une salle vaste et claire couverte de bas-reliefs hellénistiques, sur le sol de laquelle rampent des dizaines de figurants en maillot chair qu’enjambent avec plus ou moins d’égards les dieux – on reconnaît Wotan et Fricka à leurs couronnes – et demi-dieux qui demeurent en ce palais. Cette foule grouillante représente-t-elle le cours du Rhin toujours changeant ou une humanité piétinée par les occupants du Walhalla ? Impossible de le dire.

Castellucci se laisse parfois aller à des procédés énervants ou difficilement compréhensibles, comme lorsque Loge macule au moyen de projectiles remplis d’encre de grandes photos en noir et blanc d’illustres interprètes wagnériens du passé (mais aussi du Wotan de Gábor Bretz qui lui fait face sur scène) ou glisse deux objets ovoïdes dans sa chaussette gauche jaune pâle. Quant à la remise du trésor (invisible ici) aux géants pour obtenir la libération de Freia (l’otage est amenée sur scène dans un sac-poubelle), elle est ici accompagnée de la descente des cintres de deux gigantesques alligators noirs, et c’est d’un puissant coup de saurien que Fafner tuera Fasolt.

La mise à nu par Castellucci des rapports de pouvoir est en revanche remarquable, comme dans son traitement des confrontations entre Wotan et les géants ou du rapport de domination entre Alberich et Mime. Paradoxalement aidé par le Wotan assez effacé vocalement et scéniquement de Bretz, le Loge puissant, incisif et manipulateur de Nicky Spence, aussi bon comédien que chanteur, est ici le grand ordonnateur de l’intrigue. Scott Hendricks incarne un Alberich mordant et torturé, mais aussi tragique quand Wotan et Loge le torturent cruellement, le pendant par les mains et l’arrosant de pétrole.

La distribution, homogène et de qualité, peut également compter sur les superbes Filles du Rhin d’Eléonore Marguerre, Jelena Kordić et Christel Loetzsch, la digne Fricka de Marie-Nicole Lemieux, la déchirante Freia d’Anett Fritsch et l’Erda chaleureuse de Nora Gubisch.

Peter Hoare campe un Mime désespéré, alors que les basses Ante Jerkunica (Fasolt) et Wilhelm Schwinghammer (Fafner) sont des géants de très grande classe, dont Castellucci met en exergue une étrange gémellité jusqu’à souvent leur faire chanter certains passages ensemble (et non en alternance comme l’indique la partition originale), avant que le meurtre de Fasolt par Fafner ne renvoie irrésistiblement à l’histoire de Caïn et Abel.

Comme toujours chez Wagner, L’Or du Rhin est bien sûr un opéra de chef. Alain Altinoglu a pleinement la mesure de cette partition dont, à la tête d’un orchestre remarquablement sûr, il offre une interprétation où l’intensité du propos va de pair avec une superbe clarté et un équilibre sonore de tous les instants.

Patrice Lieberman | 26 Oktober 2023

resmusica.com

A la Monnaie, un Or du Rhin idéal confié au tandem Altinoglu-Castellucci

Voilà trente-deux ans que la Monnaie n’avait plus produit de Ring wagnérien – depuis la dernière saison de l’ère Mortier avec le tandem Cambreling-Wernicke aux commandes – et trois ou quatre lustres se sont écoulés depuis les derniers cycles intégraux proposés en Flandres et en Wallonie. C’est dire si la présente production est attendue par bien des mélomanes bruxellois ou résidents belges. Pour la fin de son mandat de douze ans, Peter de Caluwe confie la réalisation du cycle à son fidèle directeur musical, Alain Altinoglu et à un de ses metteurs en scène fétiches, Romeo Castellucci. Il peut en outre compter sur une pléiade de chanteurs familiers de la maison bruxelloise.

Au lever de rideau, dans une obscurité quasi totale, un gigantesque anneau doré vrille jusqu’à son bruyant effondrement sur lui-même. Le prélude instrumental peut, avec cette longue pédale de mi bémol dès lors émerger lentement des tréfonds de la fosse. L’orchestre progressivement s’anime, le ressort est bandé, l’action peut commencer ! Avec cette enluminure liminaire, Romeo Castellucci plante le décor : sa conception se veut, à la fois épurée et imaginative, sage et iconoclaste : au-delà de la narration, il s’agit pour lui, aussi de créer une nouvelle symbolique, un nouveau vocabulaire visuel éminemment personnel, détaché autant de la légende germano-nordique que du contexte révolutionnaire, anarchiste voire « marxiste » wagnérien. Il s’agit donc de pourfendre voire de pulvériser les poncifs les plus éculés du genre pour mieux les conjurer : ainsi, le demi-dieu Loge projette-t-il significativement au fil de son monologue au mitan de l’ouvrage, des paintballs d’encre de Chine sur les portraits mythologiques, en casques ailés ou en toge albe de ses comparses. Le Grand Hall du Walhalla à la scène II tient dans sa clarté virginale de l’entrepôt d’un musée imaginaire ou d’une gypsothèque, mêlant les références lapidaires à l’Antiquité gréco-romaine, ou à l’héritage judéo-chrétien, désormais réduits en miettes. Bref, du passé – wagnérien comme occidental – faisons table rase, même si l’Or est éternel et l’Anneau pour toujours maléfique !

Ce monde peut apparaître gémellaire – les deux géants bien sûr mais aussi les Filles du Rhin, sous leur atours mordorés, aux incarnations vocales dédoublées par trois serpentines danseuses – mais est bien souvent antinomique : Alberich comme Wotan, par la proximité de leur tessiture et de leur timbre, très singulière ce soir, sont les deux revers d’une même pièce, contigus par leur complexité psychologique, mais fatalement adversaires par leur volonté de puissance. A ce jeu des contraires, c’est la dichotomie qui l’emporte. Le Walhalla aux scènes II et IV demeure laiteux ou enfariné, là où le royaume d’Alberich est terreux et obscur. Même si pour chaque personnage, dans le feu de la dramaturgie rien ne demeure univoque… Si une fois capturé, Alberich privé de son aura maléfique, de ses postiches, totalement dénudé est enduit d’un liquide bitumineux (l’Or …noir ?) plus loin, en vociférant sa malédiction à l’ultime scène, il en macule à son tour le visage et la toge de Wotan, dieu ainsi marqué dans sa chair – tel dans d’autres productions plus littérales le couvre-œil qui l’accable – et dans ses attributs, par l’imprécation mortifère.

L’abécédaire visuel du metteur en scène renvoie aussi – par bribes et clins d’œil – à certaines de ses productions antérieures. La célébration des quatre éléments rappelle son iconoclaste Zauberflöte, au fil des quatre scènes du présent opéra : l’Eau lustrale «amniotique» du Rhin est symbolisée par cette brume fraîchement atomisée, métamorphosée en pluie d’or dardée par l’Aurore, au dévoilement du précieux métal sous le lit du fleuve, le Feu est bien entendu véhiculé par la seule main de Loge (moyennant une bonne protection thermique ostensiblement amovible), la Terre minérale se voit dans toute sa matérialité technologique exploitée par le peuple des Niebelungen, et l’Air est évoqué lors du finale tant par la projection évanescente du mythique arc-en-ciel que par le dorsal saut de l’Ange dans un vide intersidéral des Dieux rejoignant un palais immatériel.

Mais Castelluccci abuse d’autres gimmicks de son imaginarium ( les Dieux sont substitués par des enfants mimant en play-back l’action à l’irruption des géants colossaux), comme dans son parisien Primo Omicidio d’Alessandro Scarlatti ; le néon frétillant et défectueux de la mine des Niebelungen renvoie au fort-Chabrol préludant « sa » Jeanne au Bûcher ; les « vagues » de figurants dénudés ( au lever de la scène II ) rappellent quelque peu les animations de masse de «son» Parsifal ou «son» Requiem mozartien.

Mais par ailleurs faut-il vraiment à ce point entraver la progression, lors de la première scène, d’Alberich par une poutrelle aussi inutile qu’encombrante, ou suspendre des cintres lors du partage mortifère de l’Or et de l’Anneau entre les deux frères géants, deux dépouilles (factices) d’immenses crocodiles, dont l’une s’effondrera bruyamment sur scène lorsque Fafner portera le coup fatal à Fasolt ? Trop d’idées tuent parfois l’Idée…Mais heureusement, la vacuité de cette gadgétisation un peu kitsch (et contradictoire eu égard à l’épure par ailleurs proposée, in fine très ponctuelle), ne nuit pas à la trame narrative et ne ruine pas, ce soir, la conduite de l’action théâtrale. Le jeu scénique incandescent des protagonistes demeure millimétré malgré la relative profusion des détails scéniques plus ou moins utiles.

C’est à la basse-baryton Gábor Bretz qu’échoit, pour une convaincante prise de rôle, l’écrasant rôle de Wotan – qu’il assumera aussi dans les deux journées suivantes du Ring. Habitués de la Monnaie, nous avions pu l’acclamer en Henri l’Oiseleur (Lohengrin) voici un lustre. Son «jeune» Wotan n’est pas en reste, même si sans doute moins impérieux ou volontaire qu’à l’accoutumée. En accord avec les partis-pris du metteur en scène, c’est ici plutôt l’aspect humain, avec ses failles psychologiques et ses fêlures décisionnelles qui prime au-delà de la seule superbe vocale, indiscutable et d’une homogénéité confondante sur toute l’étendue de la tessiture. Une incarnation parfaitement assumée dans l’option d’un personnage fragile et déjà miné par le doute.

Autre habitué des lieux, le baryton américain Scott Hendricks enfile pour la première fois le costume d’un Albérich idéal à la seule condition d’accepter les paradigmes imposés par Romeo Castellucci. Inutile de chercher la noirceur à-tout-va des barytons-basses les plus « maléfiques », dans la filiation du mythique Gustav Neidlinger. Ici, il s’agit, d’un double vocal «en négatif» de Wotan , dont est exploré par cette relative clarté, toutes les aspirations, velléités chagrines ou vilénies arrivistes.

La Canadienne Marie-Nicole Lemieux, toujours fêtée à Bruxelles depuis son premier prix au Concours Musical International Reine Elisabeth de Chant en 2000, tente ici, au faîte d’une immense carrière internationale sa première incarnation wagnérienne d’envergure. Elle convainc totalement tant par son registre large, sa voix homogène puissante mais très raffinée dans ses nuances que par son jeu d’actrice, incarnant l’aveuglement un peu frivole et factice de la déesse-épouse.

Le ténor écossais Nicky Spence, «Nez » de Chostakovitch in situ l’été dernier, fait également ses débuts dans le rôle de Loge. Son timbre vif-argent malléable, se situe entre ceux d’un authentique Heldentenor (il a déjà incarné Siegmund !) et d’un ténor de demi-caractère (dans l’héritage lointain d’un Stolze ou d’un Zednik) ; il compose ainsi un personnage à la fois volontaire, épique, lors de l’enlèvement d’Alberich, mais aussi ailleurs beaucoup plus ambigu, par son statut même de demi-dieu. Son long monologue central ou ses ultimes et sibyllines interventions sont toutes d’une justesse de ton et de psychologie remarquables, avec un à-propos scénique judicieux et une ironie confondante.

Les autres dieux/déesses sont très biendistribués : en Froh, Julian Hubbard impose son timbre un rien corrosif et vindicatif, alors qu’en Donner, le baryton-basse Andrew Foster-Williams joue d’avantage sur la magnanimité et la rondeur. Annette Fritsch dans ses brèves apparitions, livré une Freia fruitée et pulpeuse, et d’une inaltérable jeunesse malgré les sévices infligés à son personnage. Nora Gubisch impose – encore une prise de rôle ! – son art et sa vocalité sombre à la courte mais déterminante intervention d’Erda, d’une poignante vérité dramatique face au cours du Destin alors en jeu. Peter Hoare, pour son premier Mime – rôle qu’il assumera aussi dans Siegfried – est idéal de timbre, légèrement nasalisé, et acide, parfaite incarnation de la couardise et de la félonie arriviste du personnage. Les deux géants Fasolt et Fafner sont incarnés par les deux basses Ante Jerkunica et Wilhelm Schwinghammer, quasi jumeaux d’allure et de voix – d’une profondeur abyssale d’une adéquate et absolue noirceur. Les trois filles du Rhin appellent peut-être davantage de réserve, surtout la soprano Eleonore Marguerre, un rien en difficulté dans le registre suraigu, détonnant quelque peu auprès des deux mezzo-soprani beaucoup plus amènes de ton Jelena Kordic et Christel Loetzsch.

Il reste à évoquer et à vanter les mérites de l’orchestre symphonique discipliné et irréprochable – comme voici un petit mois dans une mémorable symphonie Résurrection de Mahler – et de son chef, Alain Altinoglu, pour une réalisation instrumentale proprement sidérante de beauté, de justesse dramatique et d’implication musicale. Si toutes les parties de vents et cuivres sont bien tenues, il a fallu légèrement réduire l’effectif de cordes vu la relative exiguïté de la fosse – trois harpes au lieu des six prévues, quatorze premiers violons et la déclinaison de cordes qui s’en suit, au lieu des seize souhaités par le compositeur. Mais au vu de la géométrie à l’Italienne, relativement intimiste de la Monnaie, l’équilibre sonore des masses et l’étagement des plans sonores sont idéalement respectés. De même le nombre des enclumes imitant les bruits de forge, à la troisième scène, a été limité grâce aux artifices techniques actuels. La direction d’Alain Altinoglu n’appelle que des éloges. Certes, il prend son temps lors de la scène liminaire dans le lit rhénan – moins précipitée ou éclaboussée que sous d’autres baguettes – ou l’entrée grandiose des Dieux au Walhalla, qu’on a connu plus apocalyptique et spectaculaire – mais avant tout, il gère ces vastes tableaux avec une maîtrise confondante du temps musical, avec un maintien architectural éprouvé et un sens de la – très – grande forme (deux heures trente d’un seul tenant !) et des transitions. Au-delà de cette esprit de synthèse, il apporte un soin analytique aux détails textuels les plus infimes, soulignant à la fois les profondes mutations des leitmotive au fil de l’œuvre comme leur intrication intime sur le plan tant musical et dramatique. L’on pense ainsi plus d’une fois à cet aphorisme paradoxal de Nietzsche « Wagner est le maître de la miniature », par l’hyper-réactivité projetée en pleine lumière de ces éléments thématiques si brefs et ramassés, mais aussi si éloquents et expressifs. Il y a enfin sous cette baguette éclairée ce sens aigu de la couleur, avec la culture française de la filiation wagnérienne. Plus d’une fois, par le rendu de la palette orchestrale et par cet éventail de nuances indicibles – de l’ineffable au térébrant – il est impossible de ne pas penser aux grands opéras symbolistes français (et au premier chef le Pelléas de Debussy) – lesquels, sans Richard Wagner, n’auraient probablement jamais existé tels quels. Bref, voilà un travail à la fois d’orfèvre et d’architecte, impeccablement tracé par le truchement d’une phalange décidément en grande forme en ce début de saison.

Benedict Hévry | 31 octobre 2023

Frankfurter Allgemeine Zeitung

Als Kröte wird Alberich zum Menschen

aris für Verdi, Brüssel für Wagner – so sah am Ende des neunzehnten Jahrhunderts die ­Aufteilung des frankophonen Opern-Territoriums aus. Belgiens Hauptstadt hat acht der zehn Werke des Bayreuther Kanons auf Französisch aus der Taufe gehoben, nur bei „Tannhäuser“ sowie „Tristan und Isolde“ waren Paris re­spek­tive Monte Carlo schneller. Das Thema „La Monnaie wagnérienne“ bietet so viel Stoff, dass Manuel Couvreur 1998 unter diesem Titel dem Wagnerismus der Brüsseler Oper zwischen 1870 und 1914 einen vierhundert Seiten dicken Sammelband gewidmet hat! Den „Ring des Nibelungen“ präsentierte La Monnaie bereits 1903 mit hauseigenen Kräften. Angesichts dieser von Wagemut und „progressivem“ Engagement geprägten Vorgeschichte weckt ein neuer „Ring“-Zyklus, der erste seit jenem von Sylvain Cambreling und Herbert Wernicke zum Abschluss der Intendanz Gerard Mortiers 1991, hohe Erwartungen.

Sind Alain Altinoglu, Romeo Castellucci und die beteiligten Solisten den in sie gesetzten Hoffnungen gerecht geworden? Dem italienischen Regisseur, der seit seinem Einstand mit „Parsifal“ an der Monnaie 2011 in Deutschland, Frankreich, Österreich und – natürlich – Brüssel ein Dutzend weitere Opern inszeniert hat, von Gluck bis Morton Feldman, gelingt eine faszinierende Anfangsszene. In fast völliger Finsternis dreht sich auf der Bühne ein übermannshoher schwarzer Metallreif immer rascher, immer flacher. Die durch Bodenkontakt erzeugte bruitistische Beschleunigung evoziert nicht nur die kommenden Ambosse Nibelheims, sondern auch das unmittelbar anhebende Vorspiel.

Diese berühmten 136 Takte fassen die Geburt der Musik aus der Stille in eine hörbare Form: Tonale Harmonie entsteht hier durch die allmähliche Schichtung (und wellenähnliche Umspielung) von Obertönen über einem in den Urgründen des Basses gehaltenen Es; Metrum und Rhythmus werden ihrerseits durch einen Prozess der systematischen Aufteilung des Grundschlags erzeugt. Castellucci findet für diese musikalische Genese ein visuelles Äquivalent: Er lässt in totaler Dunkelheit den vergoldeten Bühnenrahmen aufleuchten und bevölkert peu à peu die ­Bretter dahinter mit Schemen. Die Rheintöchter, das sind rechts drei ölig-bronzen glänzende Halbnackte mitsamt tänzerisch ondulierenden Doubles, die aus der Halbdämmerung auftauchen und wieder darin verschwinden. Alberich seinerseits findet sich links an einen Metallträger gekettet – aquatische Bewegungen auf der Stelle, im trüben Chiaroscuro verschwimmend, ersetzen hier vorteilhaft das in dieser Szene oft irritierende Gerenne.

Romeo Castellucci greift George B. Shaw auf
Die Fallhöhe zur folgenden ist leider hoch. Die „freie Gegend auf Bergeshöhen“ nimmt da die Form einer mit gräzisierenden Gips-Halbreliefs und Skulpturen verstellten weißen Wand an – wohl ein Verweis auf die von einem Satyrspiel begleiteten tragischen Trilogien der alten Griechen, auf die Wagner mit den drei Tagen samt Vorabend seines Bühnenfestspiels Bezug nahm. Die Götter balancieren zunächst mühsam über einen Teppich aus Menschenleibern; als dann die Riesen auftreten, schlüpfen fünf Kinder in die Rollen Wotans, Frickas, Freias, Donners und Frohs, derweil deren Gesang aus dem Off ertönt – nicht nur in akustischer Hinsicht kein glücklicher Einfall. Kaum überzeugender „sprechen“ Fasolt und Fafner jeweils im Doppel, wo einer der beiden in der Wir-Form singt. Die dritte Szene verweist dann mit ihren schwarzbehelmten Nibelungen, die Ölpumpen oder Metallarbeiter mimen, klar auf die durch George Bernard Shaw begründete kapitalismuskritische Lesart des Werks. Origineller ist hier Alberichs Verwandlung in eine Kröte: Der verwachsene Zwerg streift die seinen Oberleib umschließende Kunsthaut ab – und fällt im Adamskostüm in Wotans und Loges Klauen.

Die Schlussszene, in der die beiden dem Alben Hort, Helm und Ring abnötigen, schwingt sich dann wieder zu erschütternder Eindringlichkeit auf. Der Fluch des nackten, mit schwarzem Gold besudelten Zwergs – langsam, leise, ätzend – bildet den Höhepunkt des Abends. Was danach kommt, fällt ab: Erda singt unverständlicherweise aus einer Statistenmasse heraus, am Ende lassen sich die Götter, in wallenden weißen Gewändern, einer nach dem andern mit ausgebreiteten Armen in ein Loch fallen.

Altinoglus Dirigat zielt aufs Feine
Castellucci ersinnt immer wieder Bild-Chiffren, die eine Konstellation, eine Handlung, ein Motiv wie ein Blitz in der Nacht verdichten. Seine Personenführung bezwingt da, wo sie schlicht bleibt. Aber aus früheren Arbeiten bekannte Versatzstücke wie die geschwungene Fahne, das mit Tinten-Bomben beworfene Porträtbild, die geheimbündlerisch-esoterischen Aufzüge und so weiter stehen in diesem „Rheingold“ störend quer.

In musikalischer Hinsicht sind zumindest drei Glanzlichter zu nennen: Peter Hoare fächert als Mime eine breite, situationsgerecht eingesetzte Palette an stimmlichen Ausdrucksmöglichkeiten auf; Scott Hendricks verkörpert, wohl singend und vehement, einen mehr mitleiderregenden als abstoßenden Alberich; Nicky Spence gibt den feuerzüngigen Halbgott Loge als nihilistischen Zauberkünstler und Bob-Wilson’schen Clown. Alle drei sind Angelsachsen, alle drei bemühen sich mit Erfolg um eine saubere Diktion (wobei Spence noch Mühe hat mit dem deutschen R und ch).

Ein Glücksfall endlich Alain Altino­glus geschmeidiges, sprechendes Dirigat. Der (aus Paris stammende) Musikdirektor der Monnaie zieht kammermusikalische Feinarbeit der philharmonischen Überwältigung vor und setzt mehr auf Spalt- denn auf Mischklang; das zugleich deutsch-dunkel und französisch-farbig klingende Hausorchester konkretisiert jeden seiner Impulse prägnant. Brüssel und Wagner – ein Kapitel, nein mehr: ein dicker Band für sich!

MARC ZITZMANN | 27.10.2023

Rating
(4/10)
User Rating
(2/5)
Media Type/Label
Technical Specifications
1280×720, 3.5 Mbit/s, 4.5 GByte (MPEG-4)
French subtitles
Remarks
Telecast (rtbf)
Also available as broadcast