Tristan und Isolde

Daniel Kawka
Choeur et Orchestre de l’Opéra de Dijon
Date/Location
17 June 2009
Auditorium de Dijon
Recording Type
  live   studio
  live compilation   live and studio
Cast
Tristan Leonid Zahozhaev
Isolde Elaine McKrill
Brangäne Martina Dike
Kurwenal Alfred Walker
König Marke Jirky Korhonen
Melot Eric Huchet
Ein junger Seemann Christophe Berry
Ein Hirt Christophe Berry
Steuermann Eric Vrain
Stage director Olivier Py
Set designer Pierre-André Weitz
TV director
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Reviews
classiquenews.com

Suite de la tournée d’une production mythique. Après Angers et Nantes, le grand oeuvre wagnérien Tristan und Isolde version Py suivait son cours. Cette étape dijonaise, la deuxième et dernière dans la capitale bourguignonne, et l’ultime aussi de l’ensemble des représentations en France, a offert ses délices … et produit ses déceptions.

A Dijon, l’Auditorium est un vaisseau à la démesure pharaonique. Vous devez gravir un escalator pour rejoindre le niveau de l’accueil et de la billetterie, pour descendre encore deux volées d’escalators afin de rejoindre le parterre… Un défilé préliminaire de montée et de descentes qui prélude idéalement à la machinerie de la mise en scène d’Olivier Py dans Tristan: les héros au I empruntent les coursives étagées d’un immense porte-containers qui défile continûment de jardin à cour.

La lecture d’Olivier Py sur l’oeuvre wagnérienne a porté ses fruits vénéneux et captivants: d’emblée, dès l’ouverture le charme opère et la magie de la nuit, l’ivresse amoureuse, l’intensité du drame passionnel s’imposent sans pause.

Dans la fosse, les effectifs réunis sous la baguette de Daniel Kawka déploient une sonorité cohérente, indiscutablement convaincante: travail sur la transparence et la motricité des cordes, relief sensuel des bois (hautbois, bassons, clarinettes), opulence gourmande et parfois sarcastique des cuivres: aucun doute, le chef, ailleurs directeur de l’Ensemble orchestral contemporain, connaît son Wagner. Il apporte en amoureux de la partition, un geste généreux, profond, intensément lyrique, qui en particulier dans l’acte de la nuit (celui de l’aveuglement des amants avant qu’ils ne soient donnés par Melot), est capable de s’embraser jusqu’à la fièvre, obtenant des musiciens un superbe tapis sonore: rien de mieux pour rehausser la magie visuelle qui se déroule sur la scène: succession de tableaux différents d’une même chambre, conçus comme les états d’une transe et d’une métamorphose émotionnelle vécues par le couple magnifique. Adaptée à la démesure du cadre, l’ampleur des effectifs requis débordent parfois de la fosse et submerge à quelques endroits les chanteurs, mais l’unité et la tension poétique que fait gravir à ses interprètes, le chef très inspiré, s’avèrent gagnantes. Nous n’avons pas depuis longtemps écouté un Tristan aussi sensuel et électrique, entre extase, abandon, tendresse, amertume. La violence radicale à l’oeuvre n’en est que plus explicite: Tristan, opéra tragique et langoureux? Pas réellement dans la vision de Daniel Kawka: c’est plutôt une décharge permanente et électrique d’énergie et d’hymnes extatiques. Tristan comme Yseult s’y montrent déterminés, tendus vers la mort, entendue comme seule issue de délivrance et de dépassement.

Tout l’acte II reste ainsi mémorable, et aussi le délire final de Tristan au III où le chevalier se remémore l’ancienne mélodie qui lui apprit la mort de sa mère et celle de son père: activité de la psyché dévoilée, où souvenirs, nostalgie du petit enfant, réitération des blessures secrètes et lointaines refont surface, jaillissent à nouveau dans le chant superlatif du ténor russe Leonid Zakhozhaev. Même s’il montre quelques signes d’usure et des aigus affaiblis, le chanteur incarne un être détruit mais accompli que l’amour porte jusqu’à la mort. “Il ne faut jamais mourir au désir“, rappelle Tristan dans cette scène capitale qu’Olivier Py inscrit sur une eau léthale et surnaturelle, fantastique et onirique, propice aux apparitions fantomatiques… La voix semble vaciller à chaque fin de phrase comme si elle était au bord du gouffre: linguistiquement perfectible mais vocalement juste, le ténor nous offre une leçon de chant d’une tenue bouleversante. Même intensité chez la Brangäne de Martina Dike: le timbre est puissant, ourlé, magnifiquement couvert et projeté; la mezzo formée en Suède captive scène après scène, par le velours éclatant de sa voix idéale, à la fois maternelle et fraternelle, enveloppant le duo des amants de sa présence complice, dévouée mais aussi inquiète.

Quant au Marke de la basse finnoise qui a déjà chanté à Bayreuth, Jyrki Korhonen, il reste de la même veine que lors de ses prestations antérieures à Angers et à Nantes: clair, puissant, articulé, son chant souverain sait aussi marquer la blessure profonde qui l’accable. En lui, pour chacune de ses interventions, résonne sans réponse, l’interrogation adressée à Tristan: ce “pourquoi” m’as-tu trompé, toi que j’aimais tant… C’était sans compter la violence supérieure de la passion partagée. Celle qui submerge jusqu’aux principes de loyauté d’un Tristan qui a fait son choix.

Une passion sublime qui, si elle est magistralement portée par le ténor, n’est pas sans susciter a contrario quelques réserves s’agissant de la soprano Elaine McKrill. A Angers et à Nantes, le rôle était superbement tenu par la soprano allemande Sabine Hogrefe: voix puissante et finement timbrée, d’une projection naturelle offrant un art sincère et humain. Ici, à Dijon, la conception et le caractère sont autres: timbre étroit et nasalisé, et pourtant articulation sans faille, mais et c’est un travers systématique, vibrato envahissant en particulier dans les aigus. Au I, le style passe car il est assimilé à la figure de la princesse d’Irlande excédée et trahie, humiliée et furieuse, prête à mourir plutôt que d’épouser Marke sans une claire explication avec Tristan. Son chant qui réclame l’expiation du chevalier pour effacer une faute ancienne trouve une belle intensité expressive. Mais ensuite, l’incarnation dérape, perd de son impact, et sa vibration excessive écrase toute nuance sur le texte. Nous sommes aux antipodes d’un Wagner chambriste, pourtant plus passionnant. Cependant, comme si les tableaux précédents n’étaient gérés que pour mieux le préparer, son Liebestod suit agréablement l’élan vertical du tableau visuel, et la soprano sait polir des aigus claironnants, dans l’ultime chant de mort qui est surtout un hymne de délivrance et d’élévation spirituelle.

S’agissant des vertus poétiques de la mise en scène, nous invitons le lecteur à consulter notre compte rendu des représentations à Angers Nantes Opéra (complétées par notre reportage vidéo de Tristan und Isolde d’Olivier Py, dont un entretien avec le directeur d’Angers Nantes Opéra, Jean-Paul Davois). Dans la vaste boîte de l’Auditorium de Dijon, la mécanique imaginée par Olivier Py, servie par une fosse suractive, délivre sa puissante magie. Le spectateur suit sans rien perdre de chaque moment clé, les avatars de l’action: passion et fureur d’Isolde au I, métamorphose imprévue des amoureux sous l’activité du philtre d’amour délivré par Brangäne; ivresse amoureuse du II où la puissance du sentiment se fait aussi source d’une interrogation philosophique sur la vie (vanité centrale pour laquelle Isolde devient Madeleine devant un crâne), avant la trahison de Melot qui jaloux, dénonce les retrouvailles des amants à Marke; enfin, délire mais détermination, puis mort de Tristan, au III auxquels correspond la formidable ascension d’Isolde au sommet d’un phare éblouissant…

Ainsi s’achève en 2009, le périple de la production mythique signée Olivier Py (qui marque aussi la fin de la saison lyrique de l’Opéra de Dijon). L’étape dijonaise a démontré l’assurance flamboyante et même électrisée (II) du chef Daniel Kawka dont le travail se poursuit actuellement autour du Crépuscule des Dieux et des opéras de Richard Strauss. Tristan, Brangäne, Marke y a composé une triade miraculeuse portée par l’allant superlatif de l’orchestre réuni (Camerata de Bourgogne et Orchestre de Dijon). Dommage qu’en son centre “miraculeux”, le chant de la soprano Elaine McKrill, choisie pour Dijon, nous a paru moins évident. Preuve est donnée quoiqu’il en soit que les meilleures productions passent aussi en province. Il faudra attendre encore quelques années pour voir ce spectacle inouï à Paris. La nouvelle saison 2009-2010 de l’Opéra de Dijon promet de prochaines surprises et découvertes dont classiquenews se fera bientôt l’écho.

Dijon. Auditorium, le 17 juin 2009. Richard Wagner: Tristan und Isolde (1865). Avec : Isolde, Elaine McKrill. Tristan, Leonid Zahozhaev. Brangäne, Martina Dike. Le Roi Marke, Jirky Korhonen. Kurwenal, Alfred Walker. Un jeune marin, un berger, Christophe Berry. Un pilote, Eric Vrain. Melot, Eric Huchet. Orchestre et Choeur de l’Opéra de Dijon. Daniel Kawka, direction. Olivier Py, mise en scène.

Alexandre Pham | 20.06.2009

anaclase.com

« Höchste Lust »(joie suprême). Les ultimes paroles de Tristan und Isolde sont aussi le premier sentiment à surgir dès les toutes dernières notes de cette production d’anthologie, créée en 2005 au Grand Théâtre de Genève. Une joie en même temps qu’un long silence précèdent les applaudissements. L’art total, c’est sans doute cela : cette fusion géniale entre musique, drame et mise en scène, cet équilibre duquel naît le théâtre, si subtil qu’il paraît tenir du miracle.

Comment y parvient Olivier Py ?
On pourrait analyser son sens aigu de la spatialisation. On pourrait peindre sa façon de jouer avec les plans (avant-scène, profondeur, horizontalité, verticalité). On pourrait décrypter cette manière progressive dont il s’empare de tout le plateau avec la complicité de Pierre-André Weitz, le premier acte qui semble se dérouler sur une seule dimension, le navire qui avance peu à peu, un rideau noir qui symbolise la voile du bateau, réfléchit la lumière et fait en ondulant entendre un battement qui évoque le vent ou la pluie, ajoutant à l’inquiétude des eaux noires de la pleine mer, au trouble de cette traversée vers la Cornouaille. On pourrait poursuivre en décrivant la scénographie du deuxième acte dont la profondeur naît de grandes boîtes rectangulaires figurant la chambre de Tristan et d’Isolde. Géniale invention que cette chambre d’hôtel qui glisse de jardin à cour et qui, pareille au rêve familier de Verlaine, « n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre », reflétant l’état intérieur des amants. On pourrait enfin analyser les inventions du troisième, l’utilisation du plateau dans toute sa profondeur, du lit du héros gisant au premier plan aux eaux plus lointaines desquelles surgissent l’enfant Tristan et sa mère, tandis qu’à la toute fin, la verticalité arrache Isolde à la terre pour la faire monter au ciel.

On pourrait encore s’interroger sur cette paradoxale impression d’économie de moyens qui, bien sûr, n’est apparente tant le dispositif scénique appelle une machinerie gigantesque. Et parler de ces couleurs ou matériaux qu’affectionne le metteur en scène : tubulures d’acier, échafaudages, utilisation du noir. Tout cela ne suffirait à expliquer la magie de ce spectacle, comme si Olivier Py était entré dans la musique de Wagner et en avait extrait tout le cœur et l’esprit. Sait-il lui-même de quoi ce miracle est fait ? « Ce qui importe, explique-t-il dans son brillant texte d’intention, c’est que le théâtre pense dans sa machine ». Elle est peut-être là, l’explication, dans cette inexplicable alchimie entre jeu, décors, lumières, interprètes, cequelque chose qui prend forme et qui s’appelle théâtre, qui naît presque en soi, hors du metteur en scène, même si tout se fabrique grâce à lui, comme un personnage de roman développe tout à coup sa vie propre malgré les intentions de son auteur. Rare est cette magie, on le sait pour fréquenter régulièrement les salles de théâtre ; profitons-en.

Saluons Daniel Kawka qui, dès le prélude, ajoute à cette ambiance fascinante. Voilà un chef qui sait prendre son temps et ne craint pas les silences. Il a raison car, superbes, ils plongent le spectateur dans un bain métaphysique, ajoutent au magnétisme de la représentation. La palette sonore de la Camerata de Bourgogne est subtile et éclairante, le cor anglais (joué sur scène) est tout à la fois vibrant, lumineux et désespéré.

Des chanteurs, on apprécie surtout l’Isolde d’Elaine McKrill dont la présence porte l’opéra. Ce rôle écrasant, elle l’assume avec une stabilité vocale remarquable. D’une douceur bouleversante à l’Acte I, lorsqu’elle raconte la rencontre avec Tristan, le personnage évolue ensuite, comme si la jeune fille abandonnait sa fragilité pour assumer pleinement son rôle de femme transfigurée par la passion. À ses côtés, le timbre de Brangäne, Martina Dike, est bien différencié et ne démérite pas, malgré quelques aigus acides. La voix nasale de Leonid Zakhozhaev (Tristan) est plus monochrome, mais le ténor prend de l’ampleur à l’Acte III, après avoir montré quelques signes de fatigue au précédent. Le reste de la distribution est homogène, d’Alfred Walker (Kurwenal) à Jyrki Korhonen (Marke).

Comme le célèbre accord de Tristan, des questions demeurent irrésolues : en particulier, quel rôle joue le philtre ? Empêche-t-il chaque amant d’être soi-même en ôtant leur libre arbitre ou leur permet-il au contraire de se révéler ? Tristan et Isolde s’aimaient-ils déjà avant de le boire ? Peut-être vaut-il mieux ne pas répondre, du moment que se produit l’effet cathartique du théâtre, la transfiguration au sortir de la représentation, les yeux et l’esprit encore tout irradiés de la lumière éblouissante du phare qui monte Isolde au ciel.

isabelle stibbe | Opéra de Dijon / Auditorium – 14 juin 2009

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